vendredi, juin 30, 2006

L`homme est-il un loup pour l`homme? (Partie 2)

Pendant que les deux garnements se bataillaient toujours, sans relâche, comme des chiens enragés pour se rouler sur le sol tout en s`assénant de violents coups de poings sur le visage, Lucas s`approcha vers eux pour jeter un regard curieux. Les yeux rivés sur l `hécatombe, il nous mentionna à voix haute: «acré gué! C`est pas du cinéma!». L`écho de la rossée retentissait bien au-delà du fracas des échauffourées. Nous étions tous là, debout, et immobile comme des statues, à nous délecter impunément du plaisir morbide d`observer la nature de l`homme dans ce qu`elle a de moins humain.

Aussitôt alerté par le tumulte d`un rassemblement de personnes, Tiguidou s`approchait rapidement vers la cohue comme l`aileron d`un requin affamé fendant les eaux. En jouant délicatement du coude entre chacun, le vieil homme se retrouvait à l`instant aux pieds des deux belligérants. Dès lors transporté dans une fureur d`un prophète, il tira une dernière bouffée de sa pipe, brandissait sa corne de caribou à bout de bras et les sommait d`une voix terrifiante de se calmer. Instantanément, les deux "gorlots" se figèrent comme de la tire sur glace sous le visage de l`intolérance d`un dieu colérique et au milieu d`un éclat de rire général.

Au moment où nous allions reprendre nos places, une jeune fille vêtue d`une robe trois-quarts d`un mélange de satin et de velours de couleur rubis intense se pointait devant Miss Daisy et, d`une voix geignarde, elle lui dit: «paparmane! Les deux gorilles sont encore là!». C`était la jolie Mélanie, la cousine de Miss Daisy.

Nous étions tous estomaqué par la beauté de cette jeune créature dans la fleur de l`âge. Avec ses yeux bleus comme le ciel et la mer et ses longs cheveux blonds scintillants de mille feux qui tombaient en cascade sur ses épaules, la coquine se donnait un air taquin en diable! À l`instant, je remarquais Lucas qui la dévisageait curieusement pour qu`elle en soit, la pauvre, rouge de gêne...

Afin de redonner à la veillée une ambiance beaucoup plus saine et décontractée, debout au milieu de la grande salle, Tiguidou, tapa vigoureusement dans ses mains pour donner le signal à ses musiciens d`entamer une mélodie traditionnelle. Et, dès que les premières notes résonnèrent, devant tous et chacun, il commença aussitôt à giguer une danse avec l`agilité et la rapidité d`un jeune danseur. La musique instrumentale d`harmonica, de flûte traversière, de guimbarde, de violon, de guitare, de cuillères et de tambour à mailloche s`harmonisait joyeusement avec ses pas de danse. Étonné par la vivacité de ses mouvements de pieds, je me sensibilisais autant sinon plus par l`oreille que par l`oeil!

Après la prestation, Tiguidou se faufilait entre les tables comme un chat le long des murs pour servir son fameux caribou maison à qui voulait bien y tremper ses lèvres afin de se ravigoter le canadien! Et, dès qu`il se pointa à notre table, Lucas fut le premier à manifester ses intensions en brandissant son verre à la main. Pour travailler dans un magasin d`aliments biologiques, il était avide de découvrir un nouveau produit artisanal. Le vieux renard se doutait bien qu`il avait à faire à un jeune intrépide et ne lésinait pas sur la quantité du précieux élixir pour en renverser insouciamment quelques gouttes. En tendant la main pour l`inviter poliment à consommer, il attendait impatiemment le sourire grand comme un beau gros soleil! Mais, pour imiter maladroitement ses héros de vieux films de cow-boy de l`Ouest, Lucas fit l`erreur de boire d`un trait le grand verre qu`on lui avait gentiment servi... À peine avait-il avalé tout le contenu qu`il ressentait déjà une sensation semblable à celle d`un poignard s`enfonçant dans la chair du dos. Le corps redressé, le visage rouge cramoisi, la bouche grande ouverte et la langue tirée, il chercha désespérément de quoi apaiser sa gorge brûlée avant de cracher du feu comme un dragon...

La soirée se poursuivait, malgré tout, agréablement. D`un pichet de bière à l`autre, nos rires se mélangèrent à ceux des autres. Je constatais alors que Lucas reluquait discrètement du coin de l`oeil la jolie Mélanie qui était assise à la table derrière la nôtre. Et, pour distinguer ce regard attendri sur les étoiles filantes, la petite mignonne ne rechignait pas à se faire flagorner par le jeune gaillard, au grand dam des frères jumeaux...

(à suivre...)

Le Chat Botté,

mercredi, juin 28, 2006

L`homme est-il un loup pour l`homme?

Voilà quelque temps, alors que le vent était encore frisquet et que le chant distinctif des grenouilles égayait de nouveau ma forêt, je conviais mes potes félins, Lancelot, Rocky, Lucas et la belle Miss Daisy à venir célébrer le renouveau à la Cabane à sucre de Tiguidou.

À l`entrée de la vieille bâtisse en bois de rond et à la toiture en fer-blanc rouillé par les pluies acides, se tenait, bien droit, un homme d`âge mûr, avec la pipe à la bouche. Il saluait chaleureusement chacun de ses invités d`un gracieux hochement de tête. C`était Tiguidou, le maître de l`érablière. Trapu et grassouillet, avec une moustache épaisse, longue et bien retournée comme une crosse de fougère, il était reconnu par tous comme le boute-en-train du village.

Miss Daisy connaissait bien Tiguidou puisqu`il était son parrain. Avec sa tuque rougeâtre, sa chemise en lin et le ventre ceinturé d`une écharpe fléchée, tressée et colorée aux nombreuses déclinaisons, le vieux monsieur s`empressa de nous diriger vers sa meilleure table, proche d`un poêle à bois ronflant. Aussitôt assis, je reluquais le décor féerique qui recréait le romantisme d`un temps pas si lointain. De simples longues tables et chaises usées et gravées de graffitis d`amour dans le bois massif, aux anciens moules à sucre sculptés dans le pin sec et suspendus sur les murs aux côtés de vieilles raquettes de bois tressées en babiche, rien n`était laissé au hasard pour celui ou celle qui avait l`oeil curieux.

L`atmosphère était conviviale et chaleureuse. Des éclats de rires retentissaient d`une table à l`autre. Les filles étaient jolies, fraîches et pompettes et les garçons étaient tous beaux à contempler. Mais. à peine n`eus-je le temps de faire un tour de tête à la manière d`une chouette, pour tout voir, qu`une sympathique serveuse, belle à croquer, se pointait aussitôt à notre table avec les cartes de menus à la main. Pour connaître tous les mets traditionnels québécois présentés, Lancelot, Rocky, Lucas et Miss Daisy ne tardèrent pas à faire leur choix pendant que moi, le pauvre, je tergiversais, comme un gamin étourdi, entre des saucisses dans le sirop, un pâté à la viande ou une omelette au four accompagnée de patates rissolées. Cependant, à mon grand soulagement, la jolie serveuse eut tôt fait de remarquer mon indécision, qui ne l`affectait pas le moins du monde, et me proposait le menu complet sur un ton chaleureux, voire un tantinet passionné...

Après avoir dégusté une soupe aux pois, épaisse et savoureuse comme je l`aime, grignoter une ou deux oreilles de crisse à l`ancienne et avaler trois ou quatre grosses cuillerées de fèves au lard, je me régalais de galettes de sarrazin, enroulées de lanières de jambon au sirop d`érable. Sans manières ni chichis, comme une véritable invasion de doryphores, tous, nous mangions d`un appétit de bûcheron où le ventre de chacun, ne tardait pas à pétarader une douce musique!

Rendue à l`heure du digestif, pendant que nous discutions de la culture de la terre et de ses ressources, - parce que nous sommes tous des adeptes du jardinage biologique -, un vacarme de démons nous distrayait pour que nous en oubliions, un instant, de consommer nos bières, bien froides, d`une mousse riche et consistante. Près de notre table, deux jeunes hommes se chamaillaient et s`injuriaient grossièrement comme des p`tits culs écervelés. Un crachat au visage, une bousculade, puis un p`tit coup de pied pour le moins amical et aussitôt, une vive bataille s`enclenchait sous nos yeux grands et ronds. Pour les avoir reconnus, Miss Daisy nous informa aussitôt, à Lancelot, Rocky, Lucas et moi, qu`il s`agissait de frères jumeaux qui s`éprenaient follement de la même jeune fille.

(à suivre...)

Le Chat botté,