lundi, juillet 31, 2006

À la découverte d`un champ biologique avec Lancelot, mon pote agronome (Partie 2)

Avant de s`enfoncer plus profondément dans une jungle vénézuélienne de plants de maïs, Lancelot m`informait que pour faire une inspection juste et globale d`un champ, il était prémordial de se déplacer en zigzag à comptant cent pas d`un lieu à l`autre. Mais, trop préoccupé de scruter les tiges qui me frôlaient le corps pour dénicher les bêtes tant redoutées, je lui portais peu d`attention...

Rendu au trentième pas, je m`exclamais, haut et fort: «j`en ai trouvé une!». Pour le voir se tressaillir subitement comme s`il eut reçu une décharge électrique, mon cri devait être des plus saisissants! Immédiatement, il cessa son inspection militaire d`une relève de la garde pour me retrouver. Sur l`une des feuilles retombantes d`une tige de maïs, se trouvait une coccinelle orangée marquée de plusieurs points noirs. Tout d`un coup, elle s`envola pour se poser sur le dos de ma main. Sans dire un mot, Lancelot leva son bras vers le ciel comme pour me signifier de faire le mort. Surpris par son comportement saugrenu face au danger que cette bestiole pouvait réellement m`engendrer, comme un gentil pantin, j`obtempéra tout de même. Puis, il me dit: «savais-tu que les paysans accordent beaucoup d`importance au nombre de tâches qu`une bête à Bon Dieu peut avoir sur son dos lorsqu`elle se pose sur une main?». Pour le regarder avec insistance, sans doute le visage long comme celui d`un cheval, je pensais de quel genre d`enseignement supérieur avait-il reçu? Faisant fi de mon regard des plus idiots, il me rajouta: «si tu fais le décompte des points noirs, tu découvriras le nombre de mois de bonheur que tu vivras prochainement!».

Intrigué comme s`il me lisait ma bonne aventure, j`entrais, les yeux fermés, dans son délire, et comptais à voix haute le nombre de points. «Huit!», m`écriais-je sur un ton réjoui avant que cette petite coquine ne s`envolât de nouveau. Néanmoins, même si j`étais heureux de mon avenir raconté sur le dos d`une petite bête, je reprenais mes esprits et lui demandais si la coccinelle était un insecte nuisible. Pour se secouer la tête comme le gong d`une horloge Grand-père, il me donnait la réponse. Puis, tout en me signifiant de son index le dessous d`une feuille, il me demandait d`y jeter un coup d`oeil. Je soulevais alors la longue feuille avec la plus grande précausion comme si un danger des plus menaçants pouvait s`y dissimuler. Et, pour ne rien voir, sinon des points minuscules, presque invisibles, d`un vert bleu, s`agglutinant sur la chair de la tige, les uns sur les autres, telle une orgie, il me dit d`un ton grave d`un maître d`école: «la coccinelle est un prédateur naturel qui peut à lui seul dévorer jusqu`à cinq cents pucerons par jour!». Pour me redresser aussitôt le corps comme si un fantôme m`était apparu, je restais bouche bée!

Tout en reprenant son inspection après avoir griffonné quelques notes sur son calepin, je le suivais, pas à pas, comme un chien de poche, et tombais subitement dans l`une de mes réflexions. Je me demandais comment une si petite créature pouvait se régaler d`autant de parasites et, s`il s`agissait du même coléoptère qui, à l`automne, et en grand nombre, viennent se regrouper sur la façade des maisons, exposée, côté sud, pour tenter tant bien que mal de s`infiltrer afin de passer la saison froide aux frais de leur hôte! Mais, à l`instant même où je m`apprêtais à lui poser ces questions, le vent s`éleva instantanément pour que, tous deux, nous en perdions nos chapeaux. Saisi par ce souffle d`un dieu colérique, j`oubliais tout pour dès lors en perdre la raison. Je levais ma tête vers le ciel et je l`aperçus devenir gris, puis noir en un instant. Je crus alors que le soleil avait soudainement décidé de déguerpir comme un lapin affolé, mais il en était rien! Des nuages menaçants, teintés à l`encre noire s`étaient avancés, rapidement, comme une charge de cavalerie pour aussitôt assombrir tout le paysage. «Ce soir, l`orage s`annonce de première classe!», m`écria Lancelot tout en poursuivant son inspection comme si cela ne l`effrayait guère...

Durant ma randonnée en bicyclette, pour avoir aperçu plusieurs champs de culture de maïs s`étaler sous mes yeux ébahis, j`avais remarqué que le champ de mon voisin était plus vigoureux et verdoyant que les autres, et je demandais la cause à Lancelot. Immédiatement, il me déclara, dans un élan solennel, que le champ de monsieur Lamoureux n`avait jamais reçu d`application d`engrais chimiques, ni de pesticides ou d`herbicides de synthèse tout comme ses semences utilisées n`avaient jamais été issues du génie génétique. Et, comme ses sols avaient accumulé plus de compost, de fumier traditionnel et de poudre d`os au fil des années, et pour n`avoir jamais été labouré en profondeur, cette façon de faire, à l`ancienne, aida grandement à conserver l`eau, à limiter l`érosion et à maintenir une qualité dans la couche arable. «Et, c`est pour cette raison que ses plants de maïs sont visiblement plus vigoureux?», demandais-je l`air estomaqué. «Ouais!», me répondit-il tout en me faisant un clin d`oeil.

Sur cette affirmation des plus évocatrices, un coup de tonnerre retentissait aussitôt pour me faire bondir les deux pieds joints et pour en avoir les cheveux dressés sur la tête. Une décharge simultanée de plusieurs canons sur le Champ de Mars ne m`aurait pas été moins insoutenable et terrifiante!


(à suivre...)


Le Chat botté,

vendredi, juillet 28, 2006

À la découverte d`un champ biologique avec Lancelot, mon pote agronome

Par un bel après-midi, je décidais de prendre ma vieille bicyclette et de faire une longue randonnée sur les chemins de ma campagne. Après plusieurs jours pluvieux et tempéreux d`un déluge à Noé, la température était redevenue agréable et la journée s`annonçait idéale pour une telle distraction.

Sous un soleil radieux qui assécha rapidement les petites marres d`eau qui s`étaient soudainement multipliées comme des pains et des poissons sur les routes cahoteuses et sinueuses, et sous une légère brise chaude, parfumée aux asclépiades communes, lentement, je pédalais tout en contemplant les mille merveilles de la nature. Parmi une chute d`eau spectaculaire qui tombe d`un rocher escarpé et des cascades à couper le souffle, des vallées et des montagnes verdoyantes, des mosaïques de champs labourés et des petits étangs naturels regorgeant de canards sauvages et tapageurs, je me laissais séduire jusqu`en à perdre la raison. Quand, sur le chemin de mon retour, juste avant le coucher du soleil, j`aperçus au loin, Lancelot, mon pote agronome. Vêtu d`un jean et d`une chemise à manches courtes de couleur bleu ciel, et chapeauté d`un "Bob Hearst", il tenait à la main un calepin pour recueillir des données, et s`apprêtait à inspecter le champ de maÏs de mon sympathique voisin, monsieur Lamoureux.

J`avais connu cet ami, le jour où je mis, pour la première fois, les pieds dans une Coopérative agricole. Pour être dépourvu face à une invasion de limaces dans mon potager, et avant de perdre à tout jamais ce que j`avais semé, je décidais de balancer mon orgueil aux quatre vents pour rechercher des avis judicieux.

Dans cette boutique d`un temps passé où le vieux parquet de bois craqua à chacun de mes pas pour trahir ma présence, Lancelot se présentait immédiatement devant moi pour me conseiller. Grand et musclé comme un cheval, les yeux de couleur noisette, profonds et sombres comme la nuit, les cheveux fins et cuivrés aux petites mèches entrelacées comme des vagues voluptueuses, sa grâce et sa beauté m`emplissaient d`un respect mêlé d`admiration. Tout en lui éveillait ma curiosité. Jamais, je n`avais vu un garçon aussi séduisant! Son fier visage, aux traits joliment ciselés, lui apparaissait semblable à celui d`une antique statue grecque.

Tout d`un coup, sans doute pour se sentir reluquer singulièrement par un autre homme, il me jeta un regard qui me mit mal à l`aise. Tout mon corps manifestait aussitôt une nervosité apparente. Je tremblais à la fois des lèvres et des mains, et mon front suintait une sueur glacée. Avais-je commis une erreur en l`observant trop longtemps pour soulever des doutes invraisemblables? Comprendrait-il ma maladresse d`un gamin impoli? Mais, dès qu`il me demanda gentiment la raison de ma venue, le visage resplendissant d`un sourire d`enfant, toutes mes craintes s`avérèrent sans fondement.

Arrivant derrière lui comme un oiseau à vol plané, je le saluais avec la délicatesse d`un bûcheron: «Hé, mon grand! ...Armé comme tu l`es, il ne te manque qu `un filet à papillons!». Pour être aussi futé qu`un renard, il ne perdait pas une seconde pour me proposer gentiment de l`accompagner dans sa promenade. «Viens voir ce que je recherche!», me dit-il le sourire en coin. Immédiatement, je me doutais bien qu`il ne s`agissait nullement de jolies créatures divines aux coloris d`arc-en-ciel. Je déposais alors ma bicyclette dans le fossé séparant le champ du chemin public et le suivi. «Que recherches-tu, au juste?, lui demandais-je. «Des pucerons, des vers gris noir et d`autres insectes nuisibles!», me répondit-il sèchement. Aussitôt, je grimaçais comme un gueux et avala la salive qui s`était soudainement accumulée dans ma bouche. Je m`imaginais, qu`après une ballade parmi des tiges de maïs aussi droites que des sentinelles affublées en aigrette, je serais devenu une mangeoire à moineaux, recouvert de la tête aux pieds, d`oeufs gluants, de laves, d`asticots, de chenilles velues et d`autres bestioles aussi répugnantes les unes que les autres!


(à suivre...)

Le Chat botté,

lundi, juillet 24, 2006

Un vieux fermier sympathique et attentionné (Partie 4)

J`écoutais, avec la plus grande attention, mon invité me raconter sa vie de jeune homme. Pour tendre l`oreille à chacun de ses mots peint du souffle de ses lèvres, j`aurais cru qu`il me faisait la narration d`un livre ouvert.

Sans m`en rendre compte, le temps filait comme l`eau qui coule dans une rivière. Quand, soudainement, monsieur Lamoureux s`arrêta de parler et tomba distrait pour fuir un instant mon regard. Il contemplait, à travers la fenêtre de la cuisine, un superbe coucher de soleil rouge-feu. Tout mon paysage de campagne se dessinait de mille feux rubis. Cependant, pour être curieux de nature et désireux plus que tout de connaître la suite de son histoire d`amour d`une époque qui m`était totalement inconnue et étrangère, je démontrais mon audace en me risquant à lui demander sur le bout des lèvres: «Monsieur Lamoureux! ...De quelle façon avez-vous rencontré votre Violette?».

Immédiatement, son visage, alors songeur, se radiait dans le flou d`agréables souvenirs. Et, sans même se retourner la tête, dans ma direction, pour toujours admirer la nature dans ce qu`elle a de plus merveilleux, il me répondit en s`exclamant: «c`est en faisant un fou de moé que j`ai connu ma Violette!». Aussitôt, je ne pus m`empêcher de rire aux éclats, encore une fois, ce qui enjoua le vieil homme.

Pour oublier un instant le paysage bucolique d`un paradis perdu, monsieur Lamoureux me mentionnait qu`il avait fait la connaissance de Violette le jour de l`Épiphanie, dans l`une de ces veillées d`antan qui se donnait dans la maison des MacMahon, pour fraterniser et festoyer.

Il me relatait que la maison des MacMahon était reconnue à travers tout le canton comme le lieu des plus accueillant et convivial. Tous s`y sentaient à l`aise, y compris les quêteux des chemins. Entre deux goûtés préparés avec soins, s`alternaient les contes, les chansons à répondre, la danse et la musique, où chacun s`émerveillait des oreilles sinon autant plus des yeux!

Devenu un vieux garçon sage, le visage fraîchement rasé, les cheveux coupés courts et la chemise et le pantalon soigneusement repassés, monsieur Lamoureux était, selon ses dires, tout bonnement disposé à s`amuser sans espérances ni attentes. Et, pendant qu`un vent du Nord soufflait si fort sur la campagne des Laurentides pour que des notes terrifiantes sifflèrent allégrement à travers les chassis de la vieille maison, devant la cuisinière regorgeant de bois ardent, madame MacMahon avait disposé sur le parquet de pruche, aux lattes de six pouces, des miettes de savon du pays afin de permettre une danse plus vigoureuse et expansive.

Cependant, ce soir-là, selon monsieur Lamoureux, la vieille dame aux cheveux teints gris bleuté, tenus en chignon serré, eut la main un peu lourde... Car, dès la première danse, il perdit le pied pour tomber sur ses fesses. Aussitôt indisposé par sa maladresse, sous des rires amusés, il tenta de se relever, mais peine perdue. Le plancher était plus lisse et dérapant que la surface d`une rivière gelée! Et, c`est alors qu`une jeune fille au sourire angélique et au teint éblouissant lui tendit miraculeusement la main. Ce fut Violette.

Pour avoir été attentif comme au sermon, j`étais totalement ému par son discours. Mais, soudainement, j`entendis des petits coups de talon sous la table comme si un Pic bois frappait son bec sur le tronc d`un pin mou. C`était mon invité qui gigotait nerveusement du pied pour démontrer son impatience et son impulsivité face à la tombée imminente de la nuit. Subitement, et, à mon grand étonnement, il brandissait ses bras en l`air pour se taper énergiquement les genoux et, il se leva. Aussitôt rendu sur le seuil de la porte et revêtu de son tricot de laine, sur un Angélus mourant au loin d`un clocher, il me saluait chaleureusement d`une poignée de main vigoureuse, énergique et rassurante.

Le voyant s`éloigner lentement au pied de ma colline avec sa longue perche à la main comme une ombre dans le crépuscule, je me posais sur-le-champ une question. J`enfilais rapidement mes bottes et mon manteau, et courus dans sa direction.

Arrivé derrière lui pour le surprendre, je lui demandais ce qui valait son attention à mon égard. Le vieil homme s`arrêta un instant, puis, en prenant soin de sonder des yeux le sol sur lequel il se trouvait, il se retourna tranquillement vers moi pour me mentionner qu`il avait vu de la fumée s`échapper de la cime des épinettes vis-à-vis ma maison. Pour s`inquiéter à faire les cent pas, il avait décidé de s`y rendre pour se rassurer. «Vous rassurez de quoi?», lui demandais-je sur un ton inquiet.

Monsieur Lamoureux demeurait silencieux un moment, puis, il poussa un long soupir. Je le regardais scrupuleusement en attentant une réponse. Aussitôt, je le sentis devenir mal à l`aise. Tout en se secouant nerveusement la main gauche, il me bafouilla quelques mots que j`eus de la peine à saisir. Lui qui relatait sa vie de jeune homme avec une telle aisance, je ne le reconnaissais plus! Tout d`un coup, il avala sa salive, prit un grand respire et me dit sur un ton hésitant: «une terrible malédiction plane sur votre demeure et pousse les propriétaires, depuis plus de deux siècles, à commettre des actes criminels graves!».

Immédiatement, je paralysais de terreur. Un frisson me passa sur le dos et je sentis ma peau moite transpirer une peur acide. L`écho de ses paroles saisissantes résonnait, encore et encore, entre mes deux oreilles pour m`étourdir. Jamais, je n`aurais cru me retrouver propriétaire d`une vieille maison des horreurs...

Le vieil homme me regardait, un instant, avec les yeux fixes et noyés de tristesse d`un poisson mourant sur une banquise, et reprit tranquillement son chemin. Je restais là, hébété, comme je l`avais été lorsque je le reçus plus tôt durant la journée.


Le Chat botté,


mardi, juillet 18, 2006

Un vieux fermier sympathique et attentionné (Partie 3)

Le vieux fermier me mentionnait que vers le milieu des années trente, au même moment où tous ressentaient encore les effets néfastes de la crise de 1929, son père arrivait, malgré tout, à tirer l`épingle de la botte de foin pour nourrir et entretenir adéquatement tous les membres de sa grande famille en cultivant plusieurs hectares d`orge, de blé et de maïs.

Chacun donnait un coup de main en étant assigné à une tâche bien précise. Pour être l`aîné de la famille, monsieur Lamoureux, Victor de son prénom, se devait d`assister le paternel dans tous les travaux sur la ferme. Grand gaillard qu`il était, à l`avenir assuré pour être l`héritier de la plus grande et généreuse terre du canton, il croyait dur comme fer d`être le meilleur soupirant pour Gisèle, la cokinette du village.

Cependant, même si Albert était lui aussi un fils aîné de fermier mais avec un avenir moins prometteur, il avait un atout dans sa poche que nul autre prétendant ne possédait, et il était de taille! Avec sa belle gueule d`ange aux yeux bleu pacifique et le verbe facile et abondant, il était, selon monsieur Lamoureux, le parfait entourloupeur au charme irrésistible...

Assis devant ce vieil homme, les deux coudes sur la table et le menton appuyé sur mes mains, j`étais désormais complètement suspendu à son histoire. Il me mentionnait que les saisons passèrent mais sans que la rivalité l`opposant à Albert ne diminue. Comme deux chats effarouchés, un simple regard de travers devenait l`étincelle qui suffisait à remettre le feu aux poudres. Leur comportement hostile en était devenu la risée de tous. Et, pour les corriger de leurs péchés, leur paternel respectif les châtiait d`une correction que les pauvres n`oubliaient pas d`aussitôt. Mais, même avec des volées de coups données par une main de fer pour ne plus être capable de s`asseoir sur une chaise de bois pendant plusieurs jours sans grimacer ni hurler de douleur, rien n`y faisait. Car, dès que Gisèle réapparaissait sous leurs yeux, grands et ronds, arborant un doux sourire aux lèvres joliment colorées coquelicot, l`oeil en coin et la paupière un peu baissée, ils ressentaient, à nouveaux, une animosité réciproque qu`ils n`arrivaient à peine à dissimuler ni à contrôler!

«Et alors! Qu`est-il arrivé, par la suite?», lui demandais-je impatiemment comme un gamin désireux de recevoir son cadeau le matin de Noël. Monsieur Lamoureux semblait rêvasser et fixa dans le vide. Puis, après avoir nonchalamment sapé le reste de crème qui flottait au fond de sa tasse comme s`il s`agissait d`un élixir de vie, il leva la tête vers moi, me regardait droit dans les yeux et me répondit: «c`est la Circonscription de 1942 qui mit un terme à nos rivalités!».

Monsieur Lamoureux me racontait qu`Albert et lui avaient été enrôlés la même journée et au même moment. C`était pendant qu`ils se chamaillaient, encore une fois, comme des vauriens dans une ruelle derrière le Magasin général sous les yeux horrifiés de Gisèle. Deux soldats Anglais les avaient aperçu et les interpellaient sous les ordres pour les embarquer, contre leur gré, dans un train qui les attendait à la gare. Ni l`un ni l`autre, comme tous ceux qui furent enrôlés cette journée-là, n`avaient jamais mis les pieds à l`extérieur de leur patelin et n`étaient encore bien loin d`avoir une idée globale de la guerre et de ses atrocités. Mais, pour être des jeunes hommes dans la force de l`âge, vigoureux et téméraires, ils étaient tous, malgré tout, désireux de découvrir de nouvelles expériences et de nouveaux horizons.

Un silence de mort s`était soudainement installé dans la pièce. Je regardais mon invité tripoter nerveusement sa petite cuillère. Tout d`un coup, il me jeta un regard inquisiteur et m`interpellait à haute voix ce qui me rappelait celle de mon père lorsqu`il découvrait mes mensonges de petit calibre: «tu dois te demander ce qu`est devenue Gisèle après notre embarquement?». Surpris qu`il ait lu mes pensées et désireux de connaître le déroulement d`une histoire à l`incidence incertaine, j`acquiesçais timidement d`un hochement de tête. Alors, sans plus tarder, il me répondit sur un ton sarcastique: «comme il ne restait plus un jeune homme en santé à mille lieux, et pendant qu`Albert et moi, nous combattions dans les fourrées des vieux pays, Gisèle avait trouvé preneur en la personne du fils du notaire du village. Réputé comme un être craintif et inquiet de tout et de rien, il était aussi aveugle qu`une chauve-souris! Mais, leur union n`eut fait long feu... Car, l`on me rapportait dans une correspondance que la pauvre mourut le jour où elle accoucha de son premier enfant!».

Monsieur Lamoureux m`informait de surcroît que, dès leur retour au pays, tout était devenu différent entre lui et Albert. La guerre leur avait infligé une grande plaie qui ne se refermera que dans la mort! Sans pour autant redevenir les amis insépables qu`ils étaient avant la venue de la fulgurante Gisèle, ils continuèrent à se fréquenter pour se remémorer leurs bons souvenirs d`enfances tout en évitant adroitement d`aborder les événements tragiques de la guerre.

(à suivre...)


Le Chat botté,


samedi, juillet 15, 2006

Un vieux fermier sympathique et attentionné (Partie 2)

Devant mon silence idiot, le vieil homme semblait s`impatienter. Aussitôt, je tentais de bredouiller quelques mots, mais peine perdue. J`en étais incapable. Son regard froid et inquisiteur me glaçait littéralement le sang. Mes yeux terrifiés fixaient toujours les siens, quand soudain, le voyant froncer doucement un sourcil, je réussissais à hocher nerveusement la tête en signe d`affirmation.

Immédiatement, pour être sans doute convaincu que je n`étais pas l`un de ces voyoux qui squattait une vieille maison de campagne abandonnée, il se présenta: «je suis monsieur Lamoureux, votre voisin agriculteur». Soulager qu`il soit un habitant du canton et non un tueur de grands chemins, je l`invitais à partager un petit goûter accompagné d`un breuvage.

Mon invité semblait bien connaître les lieux. Car, à peine n`eut-il pris le temps de déposer sa longue perche et d`essuyer ses semelles sur le paillasson, qu`il se dirigeait directement, comme un coup de vent, vers la vieille cuisinière à bois. De biais avec moi, je pouvais ainsi le scruter d`un oeil curieux. Les yeux rivés sur l`antiquité, il glissa doucement ses doigts tordus de la main droite sur le rebord chromé du vieux meuble pour finalement pousser un long soupir.

Je me doutais bien que cet objet nostalgique avait été le prélude d`une attachante histoire d`amour. Soudainement, il me mentionna d`une voix chevrotante: «c`est icitte que j`ai rencontré Violette, ma regrettée épouse». Restant immobile un instant, il se retourna par la suite dans ma direction après avoir levé le bras au niveau de son visage pour sans doute essuyer une larme de chagrin.

Tout en reluquant la grande cuisine d`un tour de tête, il m`informait que rien n`avait vraiment changé depuis qu`il avait courtisé sa belle, à cet endroit, à l`hiver de l`an 1940.

Je savais que l`hiver d`antan était en quelque sorte la saison de repos pour les fermiers. Bien que leur vie demeurait difficile à appréhender et cela à longueur d`année, leurs journées n`étaient pas seulement occupées par les travaux. De temps à autre, étaient organisées des veillées durant lesquelles se rassemblaient parents, famille, amis et voisins pour s`adonner à des divertissements mais qui, hélas, sont disparues de nos us et coutumes pour ne hanter que la mémoire de nos aînés.

Dès que monsieur Lamoureux eut repris ses sens et ses esprits pour oublier un instant la vieille cuisinière, je lui demandais: «vous connaissiez l`ancien propriétaire de ma vieille maison?». «Certainement!», me répondit-il promptement. Aussitôt, pour le voir se redresser la tête vers l`arrière comme une jument hargneuse, mais sans bouger le restant de son corps recroquevillé, je ne pus m`empêcher d`échapper un petit rire ce qui décrocha un doux sourire sur son visage. L`ambiance, lourde et terrifiante, s`était dès lors dissipée aux quatre vents.

Pendant que je préparais un café crème, monsieur Lamoureux me racontait comment du jour au lendemain, l`ancien propriétaire de ma maison, Albert MacMahon, et lui, alors qu`ils étaient encore des amis inséparables de leur adolescence, devinrent chien et chat pour tomber épris de la même jeune créature digne d`un ange de Dieu. «De la même jeune fille!», lui dis-je gaiement. Pour voir aussitôt mon sourire se dessiner sur mon visage tel celui d`un gamin taquin, il s`empressa de rajouter: «c`est ça, mon garçon!».

Intrigué par cette histoire d`amour, je ne pouvais me retenir pour lui demander de me décrire cette "beauté" qui devait, bien malgré elle, mettre le feu aux poudres dans le coeur de nombreux prétendants. Sans hésiter, il me la dépeignait, tout bonnement, comme si elle était toujours gravée dans sa mémoire.

Gisèle de son nom, était la bonniche de la famille du Marchand général du village. Malgré ses vêtements simples et modestes, elle se distinguait de par ses cheveux châtain chatoyant et aux deux tresses tombantes le long de son visage à la peau et au teint impeccable. Ses yeux profonds de couleur noisette et son regard aguicheur, à peine masqué d`un brin de malice, ne manquèrent jamais de rendre chacun, et particulièrement la gente masculine, complètement folle! Aux dires de monsieur Lamoureux, de par sa démarche langoureuse telle une tigresse en chaleur, elle avait le don d`en exciter plus d`un, au grand dam des autres filles...

Attentionné comme pas un, je l`écoutais me raconter ses aventures d`un passé captivant. «Je comprends, maintenant, comment, vous et votre ami, vous en étiez venu à vous tirailler...», lui dis-je. «Se tirailler! Dis-tu mon jeune? Nous en étions venu aux coups de poings et de pieds!», me répondit-il fermement la gorge nouée de vieux souvenirs.

Après avoir sapé quelques gorgées de son café crème et dévoré un gros muffin au chocolat que je lui avais servi, monsieur Lamoureux se mettait à son aise sur une vieille chaise de bois et pousuivait tranquillement la narration de sa grande et tumultueuse amitié qui l`unissait à son ami Albert MacMahon.

(à suivre...)

Le Chat botté,

vendredi, juillet 07, 2006

Un vieux fermier sympathique et attentionné

Je me rappelle encore le jour de mon envol du nid familial de la rue Orléans située dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. C`était par un bel après-midi ensoleillé de printemps. La gorge nouée d`émotions et les yeux larmoyants, je saluais chaleureusement mes parents pour me diriger vers ma première maison se trouvant en plein coeur des Laurentides.

Après avoir vécu une première rupture en quittant le corps de ma mère pour venir au monde, vint mon sevrage, puis ensuite, mon départ vers un nouvel horizon. Pour avoir appris à supporter toutes les séparations de la vie par une éducation parentale adéquate, j`avais acquis, pas à pas, la confiance nécessaire me permettant d`affronter, seul, le monde nouveau sans l`aide sécurisante de ma mère et de mon père.

Me sentant fort et rassuré comme je ne l`avais jamais été, je jetais un dernier coup d`oeil sur l`arbre surplombant la petite cour de la ruelle qui fut le berceau de mon amour inconditionnel pour la nature. Sous une pluie de rayons de soleil éblouissant où il ne restait plus que de la glace au pied des arbres, je roulais tranquillement sur des routes de campagne. Devant moi, défilaient sous mes yeux, grands et ronds, plusieurs champs de culture encore endormis qui ne demandaient qu`à se réveiller. Du même coup, pour admirer cette belle nature, à perte de vue, j`espérais chasser à jamais de ma mémoire la promiscuité dans l`indifférence de la vie urbaine, le smog et la pollution par le bruit, pour enfin, savourer pleinement une vie apaisante dans un décor bucolique.

Dès mon arrivée, j`avais remarqué, sur la cheminée de pierres du salon, une paire de raquettes de bois, tressée en babiche, qui y trônait majestueusement. Alors, comme un Seigneur d`antan, je décidais de parcourir mon petit royaume. Dès lors revêtu d`un bonnet et d`un chandail de laine du pays que ma mère m`avait tricoté de ses doigts de fée, je décrochais soigneusement les raquettes et les enfilais pour me déplacer dans le sous-bois dense et encore enneigé. Aussitôt, l`enfant en moi se réveilla et tous mes sens étaient en éveil. Marchand entre des grands pins blancs dont la cime se perdait au-delà de la portée de mon regard, je m`étonnais de la légèreté de mes pas sur une neige scintillante, lourde et mouillée. M`arrêtant pour souffler un instant, et pour dégourdir mes jambes qui me surportaient déjà plus, sous un ciel qui annonçait définitivement le renouveau, je m`émerveillais devant un petit étang naturel qui s`alimentait par un ruisseau regorgé d`eau de la fonte des neiges. Le gazouillis de cette eau, pure et limpide, qui ruisselait sur quelques grosses roches d`un grisâtre un peu rose aux surfaces arrondies, m`apaisait immédiatement. Tout en respirant à pleins poumons l`air frais et vivifiant de ce paradis, pour être loin de l`agitation démesurée de la ville, j`avais l`impression de vivre un moment unique comme si je pouvais dormir en paix sans aller me coucher!

De retour chez moi, ragaillardi d`un surplus d`émotions et de belles images pour en être étourdi d`un bonheur incommensurable, je me reposais, bien affalé dans un vieux fauteuil en cuir capitonné devant un feu de bois. Les pieds dans l`âtre du foyer, le regard perdu dans les flammes goulues, caressantes et hypnotiques, je songeais à l`homme heureux que j`étais avant de sombrer doucement dans un sommeil profond sur une agréable musique d`un crépitement de bois se consumant.

Soudainement, quelqu`un cognait à la porte avec la fermeté et la constance d`un sabot d`âne. Tantôt endormi comme un loir, je fus aussitôt réveillé en sursaut. En ouvrant la porte de bois massif, épaisse de trois pouces, j`aperçus un vieil homme à l`allure étrange. Acoutré d`une veste de laine aux motifs de tête de caribou et capé d`une casquette à rabats en poils de lapin, il tenait de sa main droite une longue perche tordue sur laquelle il se soutenait fermement. Ses jambes arquées et son dos courbé, son nez crochu, ses yeux perçants et ses traits du visage affaissés par le temps me donnaient des frissons tout le long de l`échine... Même mon chien "Cliffette", ce grand Labrador de ton miel, à la tête carrée et au corps trapu, en était épeuré pour avoir la queue entre ses pattes!

«Pardonnez-moi, Monsieur! ...Êtes-vous le nouveau propriétaire?», me demanda-t-il d`un ton sec.

Pour le voir tenir son bâton comme Moïse sur le Mont Sinaï et pour être saisi par sa voix de silex, je restais muet comme une carpe.


(à suivre...)

Le Chat botté,

mardi, juillet 04, 2006

L`homme est-il un loup pour l`homme? (Partie 3)

Au même moment où nous commencions tous à nous sentir engourdi pour avoir le ventre gros comme celui d`une baleine, Tiguidou nous interpella: «je vous invite tous, pour qui le désire, à venir danser un rigodon sur une musique entraînante!». Immédiatement, Lucas bondissait de sa chaise comme si le feu était aux poudres. D`un pas certain, il se dirigeait vers la jolie Mélanie.

Tout frétillant comme un poisson dans l`eau, il lui demandait cordialement la main pour l`inviter sur cette danse. Face à sa partenaire, aux petits escarpins en satin, il était fin prêt à sautiller d`un pied sur l`autre tout en claquant des doigts et en poussant des cris de joie.

Entretemps, j`avais salué Lancelot et Rocky qui se devaient de nous quitter pour prendre quelques heures de sommeil avant de commencer, tôt le lendemain, une nouvelle journée de labeurs aux champs.

Maintenant en compagnie de Miss Daisy, nous observions joyeusement les jeunes amoureux virevolter comme des girouettes. Cependant, du coin de l`oeil, je remarquais, à mon grand désarroi, que les frères jumeaux semblaient être désemparés. Assis côte à côte, dans un coin sombre de la salle, ils fulminaient de rage. Gigotant nerveusement tous les deux comme des hannetons suspendus à une branche, leurs yeux furibonds jetaient des myriades d`éclairs en direction du jeune soupirant. Je pensais alors que la marmite était sur le point de faire sauter le couvercle!

Lucas et Mélanie dansaient toujours comme s`ils étaient seuls au monde. Et, à l`heure où, chacun de nous avait l`air d`un gai luron ayant abusé des bonnes choses de la vie, quelque peu chambranlant sur le seuil de la porte de la Cabane à sucre, je remerciais Tiguidou d`avoir vécu une merveilleuse veillée, d`un bon vieux temps. Mais, à l`instant où je serrais vigoureusement la main du vieux patriote, l`éclat bruyant d`une volée de chaises me saisissait pour en avoir les cheveux dressés sur la tête. C`était les deux frères jumeaux qui s`en prenaient violemment à Lucas.

Malgré les cris aigus de détresse de Miss Daisy et de sa cousine Mélanie, les deux chiens enragés étaient déterminés plus que tout à réparer leur honneur bafoué. La tension était palpable. Devant le jeune étalon, amoché par l`alcool et vulnérable comme un poulin naissant, ils lui proféraient des menaces entrecoupées de quelques jurons bien salés.

Pendant que l`un, les lèvres retroussées, crachait de la bave comme un saint-bernard en rut, l`autre montrait fièrement ses poings fermés. Il n`aura suffi que d`une étincelle pour que tout l`agressivité refoulée durant la soirée soit transformée en une gigantesque éruption solaire! Alors, avant d`être témoin d`un monstrueux carnage, comme un arbitre, je tentais de m`interposer, entre eux, pour étaler mes bras de part et d`autre comme le symbole de la crucifixion.

Le temps me semblait s`être arrêté comme au jugement dernier. Seule la respiration, bruyante et saccadée, des loups jumeaux me rappelait que je me retrouvais, malheureusement, au coeur d`une situation saugrenue, voire presque irrationnelle. Je me demandais alors, comment se pouvait-il que des hommes, vivant dans une société civilisée, en soient rendus à se comporter comme des frustres... Étaient-ils des malfrats de nature ou devenus par des circonstances sociales? Mais, je n`eus longtemps à faire le philosophe sur la question. Car, pendant que je me surprenais du visage innocent de mon ami aux yeux de chien battu, je reçus une violente bourrade pour aussitôt me retrouver allongé, le dos sur le sol. La cloche d`un début de combat n`avait même pas résonné que je fus déjà chaos sur le ring!

Quelque peu étourdi pour voir de petits oiseaux voler et gazouiller tout autour de ma tête, je tentais de reprendre ma respiration avant de réaliser quoi que ce soit. Cependant, ce fut peine perdue! Car, une odeur pestilentielle d`oeufs pourris me suffoquait... Dans leur colère, insouciamment, les deux malappris s`étaient libérés de quelques souffrances sous mon nez!

Toujours allongé comme un mort sur le vieux parquet de bois, je reprenais, malgré tout, mes esprits. Et, tout en jetant un coup d`oeil rapide sur mon environnement, j`aperçus au-dessus de moi, des visages penchés, longs, blancs et inquiétants. Ils étaient tous, y compris les frères jumeaux, hébétés comme un homme au carcan! Je me rassurais alors en me disant que j`avais tout de même accompli ma première intension: celle d`empêcher mon grand gaillard de s`attirer inutilement quelques ennuis, de taille...

Le Chat botté,