jeudi, août 31, 2006

Lancelot s`en va-t-en guerre (Partie 2)

Lancelot n`était pas un être de tempérament violent. Mais, lorsqu`il était témoin d`une injustice grave ou qu`il avait connaissance du tort causé volontairement à l`un de ses amis, il pouvait s`emballer pour devenir un fou furieux.

La tension était à son comble dans la vieille maison de bois. Inquiet, je tentais de le calmer et lui dit: «tu sais, mon vieux, je suis toujours envie!». Mais, loin d`être apaisé comme un enfant dans les bras de sa mère, mes mots eurent pour effet de grandir sa colère. «Tu verras, cet énergumène aura ta peau un jour!», s`écria-t-il. Le visage rouge et les mains tremblantes, mon pote agronome se décourageait de mon insouciance face à un danger qui lui semblait bien réel. Pour me questionner à savoir qui était la vraie victime, je croyais rêver éveiller. Pourtant, je savais pertinemment que cet ermite de la forêt n`était pas fait de bois mou!

Aussitôt, un cri retentissait dans la cuisine pour me dresser les cheveux. Le lion avait rugi du fond de ses entrailles toute sa fureur. Debout, Lancelot déposait ses poings serrés sur la table, poussa un long soupir et me regardait droit dans les yeux. Je ne le reconnaissais plus. Avec son regard froid et transperçant, il me mortifiait. Puis, après un moment d`effroi à me couper le souffle, sur un ton ferme et sans équivoque, il me dit: «nous allons lui régler son compte à cette vieille chouette de malheur!».

Sur le coup, je demeurais sceptique quant à la réelle nécessité d`une douce vengeance. Avec le temps, je pensais me convaincre que cette histoire, digne d`un film d`épouvante, n`était en fait qu`un mauvais rêve. Mais, pour l`avoir écouté attentivement me décrire une nature humaine dans ce qu`elle a de plus vil et grégaire, Lancelot avait réussi à me persuader, et je commençais à me trépigner comme un gamin auquel on aurait promis de révéler un secret...

Pendant que mon meilleur ami me faisait part de ses intentions machiavéliques, Jacinthe nous avait temporairement quitté pour rejoindre son grand-père au champ. Dès son retour, Lancelot me fit un signe de la main pour me signifier de garder le silence. Je compris alors que notre complot devait rester discret. Il devait penser que la pauvre créature était trop docile et peu rebelle pour confronter un si grand danger. Sur ce point, j`entretenais quelques scrupules, mais j`obtempérais, sans rechigner, comme un bon soldat. Sur-le-champ, nous délaissâmes la compagnie de notre charmante hôtesse pour nous diriger vers ma maison.

(à suivre...)

Le Chat botté,

mardi, août 29, 2006

Lancelot s`en va-t-en guerre

Après m`être miraculeusement libéré des griffes de mon terrifiant voisin, même si j`étais mort de fatigue, je me cheminais directement vers la ferme des Lamoureux pour retrouver Lancelot, mon pote agronome.

Je savais que vers le début de la matinée, il s`y trouverait pour s`occuper à faire le train. Debout dans l`entrée de la vieille étable, je restais immobile et désemparé comme un enfant battu. Je le voyais me regarder le visage stupéfié. Il cessa immédiatement de traire les mamelles d`une vache et, d`un ton ferme, il me demanda: «qui a-t-il?».

J`aurais bien voulu lui faire part de mes craintes pour ainsi me soulager d`un poids, mais je demeurais muet comme un pape, le regard sans doute vide et atterré. Je sentais que je n`avais plus sur moi un véritable contrôle. Subitement, et de façon inopinée, j`eus terriblement chaud pour haleter et suer comme un porc et mon corps devint une pierre dont je ne pouvais plus supporter de mes jambes.

Étendu sur le sol, je recouvrais peu à peu mes esprits. Accroupi près de moi, Lancelot me fixait des yeux, grands et tristes. Encore légèrement étourdi et désorienté, je l`interrogeais sur mon état: «dis-moi... Est-ce qu`une vache affolée m`a piétiné la poitrine avec violence et régularité?». «C`est tout comme!», me répondit-il tout en me faisant un clin d`oeil des plus convaincants.

Immédiatement, je poussais un rire convulsif. Mais, pour dès lors éprouver une sensation de déchirure dans tous mes muscles, je me soutenais le ventre de mes deux bras. Grinçants des dents, je gémissais une douleur qui m`était encore inconnue. Toujours aimable et attentionné comme pas un, Lancelot m`aida à me relever. Et, pour avoir de la difficulté à marcher, il me soutenait de son bras jusqu`à la maison des Lamoureux.

Vers le milieu de l`après-midi, pour m`être endormi comme une bûche sur un lit d`appoint, je me réveillais agréablement sur un délicieux fumet d`un pot-au-feu me rappelant de doux souvenirs de mon enfance. L`odeur de la bonne bouffe qui s`était répandu partout dans la maisonnée m`aida grandement à me ravigoter. Le pas pataud comme un ours, je me dirigeais vers la cuisine pour rejoindre Lancelot et Jacinthe. Aussitôt, je m`émerveillais devant un grand bol de légumes, frais et colorés du jardin, accompagné de gros morceaux de boeuf que mon hôtesse venait tout juste de me servir. Affamé comme un loup, je dévorais sans aucune manière. Le boeuf aux légumes était si bon que j`en redemandais, candidement, encore et encore, sous le regard étonné de Lancelot et de Jacinthe. Ma santé ne m`inquiétais pas plus que d`habitude puisque mon estomac est aussi solide que celui d`un rhinocéros!

Complètement rassasié, le ventre bien ballonné, je leur racontais mes mésaventures dans les moindres détails depuis la veille au soir. Lancelot m`écoutait attentivement tout en tapotant nerveusement sa grosse cuillère. Assis sur sa chaise, il semblait nerveux, agacé comme un cheval avant une course. Puis, pour ne plus se contenir, il explosa sa rage qui s`était graduellement installée en lui. «Le vieux snock a pété les plombs!», s`exclamait-il tout en bondissant de sa chaise. Jacinthe et moi, nous demeurions bouche bée. Nous l`observions tourner en rond dans la cuisine comme un lion en cage.

(à suivre...)

Le Chat botté,

dimanche, août 27, 2006

L`ermite de la forêt (Partie 3)

J`étais terrifié, mon sang se glaça dans mes veines. Sans issue, j`étais pris au piège comme un poisson dans le filet! Je souhaitais hardiment que le temps ne me soit pas compté...

Doucement, je me retournais tout en demeurant sur place. Le tronc du grand pin, dur comme le roc, était devenu mon seul bouclier face à une menace impensable, mais pourtant bien réelle. Le dos contre cette colonne odorante, je suppliais mon ange gardien de me venir en aide.

À l`instant même, il y eut une décharge. Le bruit était tel que j`aurais cru que le tonnerre s`abattit au-dessus de ma tête. Mes deux oreilles étaient complètement bouchées. Aussitôt, partaient en éclat de gros morceaux d`écorce de l`arbre derrière lequel je me cachais. J`étais plus vulnérable que je le pensais. Par instinct, je me laissais glisser, le corps allongé sur le tronc pour m`écraser au pied de ma stèle! Je n`eus guère de difficulté à faire le poulpe, car j`étais déjà mou comme une chiffe. J`attendais là, immobile et silencieux comme un mort vivant, en espérant que le forcené, sans retenue ni maîtrise de soi, s`imaginerait s`être trompé dans son jugement.

Encore une fois, ma tête était sur le bord d`éclater. Comme un film en accéléré, je voyais, en noir et blanc, les dernières séquences de ma vie que je m`apprêtais de vivre. D`abord, je gisais dans cette poussière de terre, à demi courbé, et agonisant sur la dernière goutte de vie qui m`habitait. Ensuite, dans une pièce sombre comme un mur de tripot, sur des cris et des pleurs persistants, trois visages tristes aux auréoles d`une grande lumière calme, me regardaient. C`était Jacinthe, Lancelot et Rocky. Puis, pour reposer dans une petite prairie, une brise de fraîcheur, parfumée aux fleurs sauvages, me pénaîtra afin que mon esprit soit apaisé et libéré à jamais. Mais, je n`eus tôt fait de recouvrer tous mes sens, car un deuxième coup de fusil résonna dans la forêt. Sur-le-champ, je sentis une balle me frôler le flanc. Une petite et peu profonde blessure apparut instantanément.

J`implorais le ciel que le vieil homme fasse un entracte dans sa folie meurtrière. Dès lors, pour ressentir une vive douleur, un déclic se fit dans ma tête. Étant convaincu que cette matinée était la dernière de ma vie, je pensais taquiner le diable. Je m`imaginais me lever et dévoiler ma personne sous ses yeux démoniaques pour lui tenir tête et me battre. Mais, à la dernière seconde, juste avant d`accomplir mes gestes de bravoures, je sentis la peur m`envahir comme le venin d`un scorpion coulant dans mes veines. Je pensais à tous mes désirs encore inassouvis!

Cependant, j`ai voulu me retourner pour jeter un coup d`oeil en direction de l`ermite. Mais, étant toujours sous l`emprise d`une peur bleue, j`hésitais. Alors, je décidais de me laisser glisser de nouveau, et cette fois-ci, à la manière d`un ver de terre. Pour me retrouver dissimulé dans une souche, la face contre un tapis d`humus, je me risquais, à ce moment-là, de me pointer le bout du nez. À travers les feuilles d`un arbuste rabougri, mes yeux roulaient dans tous les sens. Et, pour aussitôt, remarquer que le long fusil était de nouveau accoté sur la cordée de bois, j`attendis patiemment, un instant, et rampais, le corps contre le sol, vers ma maison.

jeudi, août 24, 2006

L`ermite de la forêt (Partie 2)

Complètement dissimulé derrière un énorme pin blanc, plus gros qu`un tonneau de vin, je surveillais discrètement la cabane d`un oeil scrutateur. J`attendais patiemment d`apercevoir celui qui était devenu mon pire ennemi.

Le temps d`attente me semblait long. Tout était immobile et silencieux dans cette forêt humide, sombre et profonde. Harassé par un nuage de moustiques et de mouches suceuses de sang, je pensais battre en retraite quand j`entendis, le grincement d`une porte de bois. Immédiatement, j`entrevoyais au travers des branches, un vieil homme à l`allure déglinguée. Vêtu d`un jean défraîchi et d`une chemise à carreaux, en pièces, dont les lambeaux pendaient deça et delà, il s`affairait à préparer un feu de camp sur lequel était adroitement suspendu une marmite en fonte.

Mais, de cet endroit, je ne pouvais l`identifier correctement. Alors, comme une fouine, je me pointais le bout du nez de plus près pour me cacher derrière un autre grand pin dont la cime qui, par un temps colérique, devait aisément cogner aux portes du paradis. Pour m`être déplacé comme une panthère, aux pas feutrées, je me mordis aussitôt la queue! Sur une cordée de bois de chauffage était accoté un long fusil...

Trop longtemps debout et stationnaire comme un piquet, je me fatiguais rapidement. Je ressentais des fourmis dans les jambes. Sans plus tarder, mes genoux s`entrechoquèrent. Pour me dégourdir, je reculais d`un pas. Or, à mon grand désarroi, j`ai eu la maladresse de mettre le pied sur une branche morte pour déchirer la quiétude qui y régnait.

Aussitôt, alerté d`un danger, le vieil homme bondissait sur son long fusil avec l`agilité d`un écureuil. Son arme sous l`épaule, le doigt tordu rivé sur la gâchette, il surveillait d`un oeil aiguisé de faucon le moindre mouvement suspect dans les buissons. Prêt à faire feu comme un soldat sous les armes, rien ne lui semblait échapper à son attention!

J`haletais et transpirais abondamment. Je savais pertinemment, que si je faisais la bêtise de déguerpir à toute vitesse comme une gazelle affolée, le forcené au visage ridé et ravagé par la haine me tirerait des balles dans le dos pour que ma poitrine ressemble étrangement à du fromage gruyère... Au moindre bruit, même le plus subtil, il brandissait sa carabine avec la souplesse et la certitude d`une aiguille de boussole. Soudainement, par comble du malheur, une pomme de pin tomba à mes pieds. Pas un centième de seconde ne s`était écoulé que le bout du canon était déjà pointé dans ma direction.

(à suivre...)


Le Chat botté,

mardi, août 22, 2006

L`ermite de la forêt

Jusqu`à tout récemment, je m`étais miraculeusement préservé de l`agressivité malsaine. Jamais, un individu ne m`avait été aussi discourtois que le maraudeur.

Depuis ma tendre enfance, j`ai le souvenir d`avoir toujours été cajolé et protégé par des parents aimables et bienveillants. J`étais l`un de ces enfants chanceux qui, fort de caractère, pouvait s`émanciper sans difficulté, dans la vie. Les moqueries et les insultes, si j`en avais connaissance, m`étaient indifférentes comme l`eau qui coule sur le dos d`un canard. Il m`arrivait, certes, d`être de mauvais poils lorsque je rencontrais des obstacles, -et encore aujourd`hui-, mais jamais sans ignorer l`importance de respecter la personne ou le bien qui me causait des ennuis.

Les premières lueurs matinales apparaissaient déjà dans un ciel majestueux de couleur rose-orangé. Or, le coq avait beau chanter ce matin-là. J`étais toujours éveillé! En aucun temps, je ne m`étais autant creusée la cervelle. Pour avoir suivi religieusement, et réussi, tous mes cours de philosophie au Collège, je me remémorais quelques enseignements reçus. Les hommes sont-ils bons ou mauvais de nature? Sans équivoque, cette Nuit des Ténèbres me donnait un goût amer sur la nature humaine!

Aussitôt, sans même me concocter un petit déjeuner au poêlon comme j`en ai l`habitude, je me rendis sur le lieu où le rat des champs se tenait la nuit passée.
De cet endroit, il était loisible à qui le voulait, aux intentions malicieuses, d`épier mon intimité à travers les fenêtres de ma maison. Immédiatement, je constatais ma vulnérabilité et un léger frisson de terreur se glissa tout le long de ma colonne.

Jetant un regard inquisiteur sur mon environnement, je pouvais encore distinguer des empreintes de semelles, laissées au sol, dans de la terre légèrement humide. Dès lors, j`étais désireux de satisfaire ma curiosité, mais surtout soucieux de corriger celui qui s`était payé ma tête, comme l`aurait fait un bon père de famille envers un fils dévoyé et rebelle.

Pour m`en douter, les traces me conduisirent vers le sous-bois qui se trouve de l`autre versant de ma colline. À cet endroit, se trouve un chemin de fer abandonné qui se perd dans une forêt dense et privée de clairières. À ma connaissance, personne n`osait s`y pointer le bout du nez... Mais, pour avoir perdu tout indice de retrouver mon scélérat, je tentais tout de même de m`y aventurer. Je n`eus tôt fait de déambuler la longueur de trois pas, le corps crispé et les oreilles aux aguets, que je découvris, au loin entre des arbres d`une sapinière primitive, une petite cabane au revêtement de toile rouillée, et dont l`allure était des plus délabrées. Plusieurs débris et rebuts traînaient ici et là autour de cette bicoque. Je pensais alors qu`il devait s`agir d`une ancienne cassine de chasseurs jusqu`au moment où j`aperçus de cet endroit, une épaisse fumée noire s`échapper d`un tuyau de plomberie en guise de cheminée.

(à suivre...)

Le Chat botté,

dimanche, août 20, 2006

Le maraudeur (Partie 3)

Réalisant un danger inhérent, je me détortillais rapidement le corps pour me mettre à l`abri. Enroulé dans la draperie jacquard, les yeux fermés et tremblant de tous mes membres comme la feuille d`un peuplier par de fortes brises du Nord, je me souvenais alors d`une vieille superstition: "Lorsqu`une chauve-souris vole prêt de vous, cela signifie que quelqu`un vous a trahi ou ensorcelé!". Si l`une de ces bestioles répugnantes me valait déjà un mauvais sort pour mourir sans s`en apercevoir, je n`osais me casser le ciboulot pour une douzaine...

Après un instant d`émoi pour en perdre la raison, cette fois-ci, je tendis simplement l`oreille dans l`ouverture de la fenêtre. À mon grand soulagement, je distinguais un bruit de pas s`éloignant tranquillement vers le sous-bois. Or, même si le maraudeur s`en était allé, dégrisé d`un plaisir incommensurable, je demeurais néanmoins affolé comme une bête grièvement blessée dans son enclos. J`oubliais mon lit douillet et me rendis au rez-de-chaussée suivi de mon fidèle ami. Comme un coup de vent, je me précipitais vers la porte d`entrée pour vérifier si elle avait été bien verrouillée. Puis, pour me calmer les nerfs et hydrater ma gorge sèche, enrouée et irritée, je me dirigeais vers la grande cuisine pour me servir, de nouveau, un verre de cognac. Je n`eus fait fait longtemps d`avaler le précieux contenu pour m`en resservir!

Sans crier gare, un coup de froid me traversait le dos. La fraîcheur d`une nuit d`automne s`était déjà installée dans la maison. Je constatais alors que le foyer ne crépitait plus sa douce musique. À l`aide d`un soufflet, je le réanimais. D`un coup, de petites flammes paresseuses apparaissaient à travers les restes d`une bûche carbonisée. Je déposais quelques brindilles sèches de façon ordonnée ce qui ne tardait pas à réchauffer la pièce. Mais, même avec un gosier dilaté et un corps enflammé, je restais toujours agité. J`avais la bougeotte comme un feu follet un soir de printemps dans un cimetière! Je me demandais quel être ignoble pouvait s`amuser de mes tourments et pour quelle raison.

Tapant du pied, les deux mains appuyées sur le rebord de la tablette de la cheminée, les yeux fixes et les dents serrées, une phrase me traversa brusquement l`esprit: "Qu`est donc devenu le chaton?". «Billy!», m`écriais-je. Pour ne plus le retrouver sur le lieu où il avait l`habitude de se reposer, je me retournais violemment pour le rechercher du regard. Avec mes yeux de l`lynx, je ne tardais pas à le repérer dans la corbeille de "Cliffette", frissonnant de terreur sous la couverture. À l`instant rassuré que nous étions tous, sain et sauf, je m`assoyais dans mon fauteuil préféré pour me détendre comme je le fus au début de la soirée.


Le Chat botté,

samedi, août 19, 2006

Le maraudeur (Partie 2)

Courageux comme un lion, je me risquais à glisser la tête sous le châssis à guillotine. Aussitôt, j`aperçus l`horrifiante lueur incandescente piquer tout droit vers moi comme une étoile filante pour rebondir sous mon nez. C`était un pétard fumant! Un rat des champs aux intentions malveillantes trouva son aventure si plaisante qu`il en fit une gorge chaude!

À peine n`eus-je le temps de me ressaisir qu`un rire railleur retentissait de cet endroit maudit pour étouffer allégrement tous les aboiements de "Cliffette". Pris de panique, je tentais de vociférer toute ma colère la bouche grande ouverte. Mais, à mon grand désarroi, ce ne fut qu`un cri muet de mort qui s`échappa de ma gorge serrée. J`avais le respire coupé. Tout mon corps s`était paralysé, comme engourdi après un effort immense. Le sang m`était monté à la tête et ma cervelle bouillonnait de rage.

Après avoir repris mon souffle, j`avalais la salive accumulée dans ma bouche, et me risqua à nouveau de hurler aux loups. Sans plus tarder, de ma poitrine haletante, s`élevait un cri terrifiant pour faire trembler le sol. "Cliffette" cessa d`aboyer. J`avais hurlé si fort que le pauvre perdit sa langue au chat!

Je demeurais toujours dans la même position, suant et soufflant comme un boeuf. Cherchant à voir dans ce néant avec des yeux plus grands que le ventre, rien ne se manifestait, pas un autre oeil du diable ni même un rire narquois. Tout était dangereusement silencieux et immobile sous un ciel sans lune.

Mais, au moment où je m`apprêtais à me retrancher dans mon fortin, un tourbillon de battements d`ailes me soulevait les cheveux pour me glacer le sang. Sans le vouloir, j`avais invoqué dans cette Nuit des Ténèbres, une volée de chauve-souris au-dessus de ma tête, qui était toujours à découvert et sur le bord d`exploser. Je crus, un instant, la perdre à jamais!

(à suivre...)


Le Chat botté,

mercredi, août 16, 2006

Le maraudeur

Pour sentir une légère brise fraîche d`un crépuscule du mois d`août, celle-là même qui nous chatouille l`échine et qui nous rappelle gentiment que la belle saison n`est pas éternelle, seul dans ma vieille maison sur la colline, j`allumais un feu de bois dans le foyer de la grande cuisine. Affalé confortablement dans mon fauteuil en cuir de style bergère, les deux pieds dans l`âtre de la cheminée, je me détendais comme un pacha, à regarder fixement des flammes, goulues et endiablées, de couleur bleue et jaune-orangé. Tout près de moi, "Cliffette", ce grand chien Labrador de couleur miel, se reposait, recroquevillé et les yeux fermés, dans sa grande corbeille d`osier.

L`atmosphère était douce et fluide comme la surface de mon étang aux nénuphars. Un verre de cognac dans une main et un petit cigare cubain dans l`autre, le temps défilait paisiblement dans la simplicité de mon quotidien sans que j`en eus l`impression... Seul le retentissement du carillon de l`horloge Grand-père me rappelait douloureusement, d`une heure à l`autre, que j`étais un mortel qui pouvait encore s`agiter nerveusement de tout son corps!

Sur le onzième coup sonnant, pour bayer aux corneilles depuis trop longtemps, je décidais d`abandonner ce lieu réconfortant sur le doux crépitement d`une grosse bûche se consumant. Avant de monter sur l`étage pour me coucher, je déposais délicatement mon verre sur la tablette de la cheminée à côté de "Billy", le chaton récemment adopté, qui s`était profondément endormi.

Au moment où je mis le pied sur la première marche de l`escalier, un bruit sourd m`effraya. Aussitôt, alerte comme un veilleur de nuit, je m`immobilisais un instant pour prêter l`oreille. Mais, pour ne percevoir que le souffle court et précipité de mon chien qui me regardait la gueule grande ouverte avec la langue pendante, je poursuivis tranquillement mon chemin vers mon lit douillet en me convainquant qu`il devait s`agir, sans doute, du vent qui hurlait dans la cheminée!

Allongé sous une chaude courtepointe cousue par les mains de ma mère, les bras sortis et les doigts entrecroisés sur ma poitrine, je m`apprêtais à m`endormir quand j`entendis un autre bruit, similaire au précédent. Immédiatement, "Cliffette" aboya à la meute. Je savais que par son timbre de voix, différent, il était méfiant envers un étranger qui avait pénétré son territoire. Le corps crispé, les oreilles dressées et les deux pattes avant agrippées sur le rebord de la fenêtre à carreaux entrouverte, il se faisait un devoir de nous défendre, "Billy" et moi.

Le pauvre s`affolait toujours. Tout d`un coup, une fumée à l`odeur âcre et piquante s`infiltrait sournoisement dans la pièce pour me monter au nez. Inquiet comme si j`étais en proie à une dangereuse folie, je me redressais comme un pic et sautais d`un bond, les pieds joints, pour me diriger vers la fenêtre derrière mon précieux ami. Les poings serrés et le coeur battant, je savais pertinemment qu`il ne pouvait s`agir d`un petit animal rôdant dans la pénombre.

Les yeux écarquillés comme ceux d`un chat dans l`obscurité, je tentais d`apercevoir quelque chose, mais peine perdue. Le ciel étoilé de ma campagne des Laurentides s`était éclipsé dans une nuit plus ténébreuse et dangereuse que le fond de la mer! Pas une faible lumière ne me permettait de distinguer une quelconque silhouette. Seule une petite lueur rouge, étincelante, se manifestait sous mes yeux comme l`oeil du diable!

(à suivre...)


Le Chat botté,

dimanche, août 13, 2006

Une nature belle à croquer (Partie 3)

Sur le chemin de la ferme, pour avoir l`habitude de contempler la nature verdoyante dans ce qu`elle a de plus merveilleux, je n`avais d`yeux, cette fois-ci, que pour les adorables petites boules de poils que je tenais précieusement dans mes bras comme s`il s`agissait d`un trésor.

Pas plus haut que trois cerises, mais déjà aisément agiles et espiègles, je pouvais douloureusement sentir, sur mon corps désormais meurtri, leurs petites griffes aussi piquantes et acérées qu`une aiguille de chirurgien! "Chausette", la femelle, se faufilait entre mes pas pour, de temps à autre, se caresser doucement la joue sur l`une de mes jambes tandis que "Le p`tit lion", nous suivait de loin comme s`il était alléché par l`odeur de mon sang...

Arrivé devant le perron de bois de cette vieille maison chaleureuse peinte d`un blanc immaculé, j`aperçus le vieux fermier s`occuper dans son champ récemment ravagé par l`orage. Ne voulant l`importuner que pour si peu, après avoir déposé les petits démons sur le sol, j`avais décidé de m`en retourner sur ma colline pour revenir après le souper. Mais, soudainement, j`entendis une douce voix qui me saisissait comme si une légère brise m`avait rafraîchi le corps par une journée chaude et écrasante. À l`instant séduit, je me retournais comme une girouette. À travers une porte-mousticaire, une demoiselle au regard pétillant m`observait curieusement. C`était Jacinthe, la petite fille de monsieur Lamoureux.

Tel un idiot, je demeurais immobile comme un coq en plâtre. Tout d`un coup, elle ouvrit la porte, glissa un pas devant l`autre comme dans une marche nuptiale et déposa doucement ses petites mains à la peau satinée sur la rampe aux montants joliment sculptés. «Vous vous souvenez de moi?», me demanda-t-elle avec un sourire discret. Je tentais de répondre, mais peines perdues. J`étais comme ensorcelé par un sortilège! Je ne pus, malgré tout, que bredouiller un ou deux mots incompréhensibles, tout en hochant nerveusement la tête en signe d`affirmation. Pour l`avoir trouvé séduisante, l`autre jour, dans le champ de son grand-père sous un ciel colérique à terroriser le plus insensible des adeptes de films d`épouvantes, elle était là, devant moi, aussi belle et charmante qu`un ange incarnant le ciel.

Jacinthe était attifée d`une jolie robe décolletée en fine popeline de coton aux doux imprimés fleuris. Ses cheveux, dorés comme le soleil, étaient liés par un ruban assorti à sa robe et ses yeux de la couleur bleue, comme le ciel et la mer, brillaient autant sinon plus que deux étoiles scintillantes.

Je continuais toujours de l`admirer, en silence, jusqu`au moment où elle s`approcha vers moi pour me demander si j`étais désireux de rencontrer monsieur Lamoureux. Immédiatement, j`abandonnais mon état léthargique d`un poisson qui agonise sur la banquise, et lui répondis que non. Je ressentais alors une étrange sensation. Tous mes sens étaient bouleversés, empreints de concupiscence! Mes jambes étaient molles comme une poupée chiffon et mon coeur battait à la chamade. Son léger parfum d`agrumes m`exhalait les narines au point de ressentir une envie folle et irrésistible de la prendre dans mes bras, de la serrer fort contre ma poitrine et de l`embrasser. Mais, même si je m`extasiais comme un albatros qui se laisse librement porter dans un courant d`air au-dessus de l`océan, je demeurais néanmoins aussi nerveux et anxieux qu`un enfant le premier jour de classes!

M`apercevant, sans doute, complèment subjugué par le sentiment de plénitude, la bouche grande ouverte et les yeux hagards, elle déposait ses mains sur les miennes et me donna un doux baisé sur les lèvres. Aussitôt, pour me surprendre, un petit démon grimpa sur ma jambe comme sur le tronc d`un arbre. Poil pour poil identique à son paternel, il me démontrait, à sa manière, son affection en me chatouillant le cou de petites lichettes chaudes et rugueuses. Sur le coup, Jacinthe ne put s`empêcher de rire aux éclats! Et, sur ce bonheur instantané, attrapé au filet de l`amour, je lui demandais gentiment si je pouvais la soustraire de ce petit fardeau ce qu`elle ne refusa point...


Le Chat botté,

jeudi, août 10, 2006

Une nature belle à croquer (Partie 2)

Aussitôt, à peine n`eus-je le temps de soupirer, qu`une bête, aux yeux de feux, me regardait sournoisement sous de longues frondes, pennées et retombantes, d`une fougère à l`autruche. Trop bien dissimulée dans une noirceur totale, je ne pouvais me faire une idée de sa nature. Devais-je m`en inquiéter pour prendre la poudre d`escampette?

La bête continuait toujours de m`observer et moi, le pauvre, je tergiversais...J`étais à la fois curieux et terrifié comme un môme en quête de sensations fortes. Quand, soudain, la créature se montrait le bout du nez. À l`instant même, je reconnus un chat à la frimousse adorable.

Encore une fois, accroupi genoux contre poitrine, je tentais de l`apprivoiser en imitant maladroitement le cri doux d`une souris. D`un pas de velours, il s`avança lentement, le ventre contre le sol, pour dévoiler complètement son corps. C`était un tabby tigré roux aux lignes plus foncées descendant tout le long de sa colonne vertébrale. Avec sa crinière ébouriffée, il ressemblait étrangement à un petit fauve. La tête baissée, les oreilles dressées et ramenées vers l`arrière, le dos en arque et le poil complètement hérissé sur l`échine, il me semblait en corère, voire même en rage! Mais, pour avoir eut la compagnie d`un chat depuis mon berceau jusqu`à tout récemment, il ne m`effrayait guère...

«Salut, mon p`tit lion!», lui dis-je sur un ton rassurant. Sans plus attendre, il me répondit par un impétieux grondement félin. Non surpris par son attitude cavalière, je me convainquais alors qu`il était de mauvais poils ce matin-là...

Au moment où je m`apprêtais à rebrousser chemin devant Sa Majesté pour l`abandonner à son royaume, un autre chat sorti de la même cachette. Cette fois-ci, je reconnus une belle American Wirehair avec sa robe noire et blanche au signe distinctif d`un "V" de poils blancs, inversé sur le front et s`étalant sous le menton jusqu`à la poitrine. Pour la voir s`approcher vers moi avec les yeux mi-clos, les moustaches relâchées, et tout en ronronnant une douce mélodie comme si elle était heureuse de retrouver son maître, je me rassurais alors de son caractère compatissant. Sans aucune hésitation, je la caressais doucement pendant que son matou, en retrait et sur ses gardes, me guettait du coin de l`oeil tout en remuant nerveusement le bout de sa queue comme la ligne d`une canne à pêche.

Tout d`un coup, un, deux, puis trois chatons de la grosseur d`un cornichon, passaient entre mes jambes, de derrière vers l`avant, pour gentiment me surprendre. Curieux, enjoués et charmants à croquer, ils se couraillaient à la queue leu leu.

Je remarquais que la chatte portait fièrement à son cou un collier à médaillon et sur lequel il était gravé "Chausette, 630, Chemin des Patriotes". Je connaissais bien ce lieu. C`était la ferme des Lamoureux. Pour exprimer mon désir d`adopter une petite boule de poils, sans plus tarder, je m`en allais retrouver le maître de la plantation.

(à suivre...)

Le Chat botté,.

lundi, août 07, 2006

Une nature belle à croquer

Par un bel avant-midi du mois d`août, ensorcelé par une légère brise parfumée à la sève de sapin provenant de mon sous-bois, comme pris au piège par un sortilège, je décidais de m`y aventurer au hasard de mes pas.

À l`abri d`une chaleur suffocante et insoutenable, et où seuls quelques rayons de soleil s`immisçaient timidement parmi un feuillage dense, j`aperçus au pied d`un grand pin blanc dont la cime se perd audacieusement dans le ciel, des ronces aux longues branches épineuses regorgeant de mûres sauvages devenues à maturité.

Accroupi comme un tailleur sur un tapis spongieux de lichens, comme un glouton, je me régalais plein les babines de ces petites baies juteuses, d`un violet très sombre. Quand, soudain, pour me dresser les oreilles comme un chevreuil alerté, j`entendis le craquement d`une branche sèche, déchirer la quiétude apaisante de la forêt. Aussitôt, je faisais un tour de tête à la manière d`une chouette pour scruter l`environnement, mais rien ne se manifestait sous mon regard attentif. Le temps semblait s`être arrêté. Sachant que les ours noirs raffolent de ces petites douceurs du paradis, j`avais l`oeil inquiet d`un cheval le mors aux dents. Mais, pour ressentir subitement des fourmis dans les jambes à rester immobile comme la statue d`un tombeau, je tentais de me ressaisir avant de perdre la tête au quatre vents.

Puisque tout me semblait redevenu à la normale après quelques moments de palpitations, je me laissais de nouveau tenter par le doux péché véniel de gourmandise. Pour en être aussitôt rassasié comme par un festin savoureux, ma bouche pleine de joie, je me levais et poursuivais ma ballade.

Au tournant d`un petit sentier d`herbes battues, je m`étonnais des couleurs et des ombres du sous-bois. Tout me paraissait à la fois merveilleux et mystérieux. Les deux pieds dans le coeur d`un sol riche, encore mouillé par la rosée du matin, je m`imaginais seul au monde parmi cette nature généreuse et sauvage. Tout d`un coup, pour me sortir brusquement de mes rêveries d`un gamin sur la lune, une volée de perdrix s`élevait des arbrisseaux avec fracas.

Immédiatement, je m`aurais cru dans une gigantesque bataille d`oreillers! De tout bord tout côté, ces oiseaux de la grosseur d`un poulet, s`épivardaient dans le ciel pour momentanément assombrir le paysage de plumes et de duvets de la couleur gris-brun. En étais-je la cause de leur frayeur? Je n`en avais aucune idée. Cependant, avant même de me convaincre de ma culpabilité ou que, d`horribles pensées me traversent l`esprit pour me donner à nouveau un désagréable frisson dans l`échine, j`aperçus non loin, droit devant le bout de mes semelles, de hautes herbes s`agiter follement. Telle une torpille, quelque chose se dirigeait rapidement vers moi à travers cette verdure dense et extatique.

(à suivre...)

Le Chat botté,

vendredi, août 04, 2006

À la découverte d`un champ biologique avec Lancelot, mon pote agronome (Partie 4)

Devant cette hécatombe, mes mâchoires claquèrent et mes bras tombèrent inertes. J`étais complètement abasourdi. Comment la nature pouvait-elle être paisible et généreuse pour, d`un instant à l`autre, devenir cruelle et destructrice? J`avais beau me questionner, mouliner mes neurones, mais aucune réponse ne me venait à l`esprit. Cependant, je savais pertinemment que, malgré cette tragédie, tous les agriculteurs de ma région, dont monsieur Lamoureux, se devaient de surmonter cette épreuve afin de poursuivre leur projet pour lequel ils y ont consacré tous les jours de leur vie.

Au loin, au-delà de la cime des épinettes, le vent hurlait toujours sa colère sur la colline d`où se situe ma maison. Le démon serpent s`en était allé. Seule à mes pieds, une brume opaque, légère et humide, déferlait subtilement entre les cadavres pour répandre un étrange parfum de la mort. La lumière du jour s`atténuait doucement comme la tombée du rideau de théâtre. Jacinthe fut la première à nous rejoindre au milieu du champ. Son grand-père la suivait, loin derrière, comme s`il participait à une procession funeste. D`une main, il se soutenait fermement sur sa longue perche tordue et de l`autre, il tenait un vieux fanal de fer-blanc.

«Tout va bien?», nous demanda-t-elle sur un ton inquiet d`une mère tourmentée qui retrouve enfin ses rejetons égarés. Pour ne pas avoir été présenté auparavant, je gardais le silence. Ce fut Lancelot qui la rassurait en lui mentionnant que nous avions vécu, lui et moi, de belles émotions, semblables à celles vécues dans un manège de carnaval. Jacinthe poussa alors un long soupir et me regardait avec le visage d`un ange.

Même si dans le ciel, il ne restait plus qu`une lueur orangée en voie de disparaître dans une nuit étoilée, j`étais immédiatement envoûté par son charme et sa beauté. Je pensais qu`elle devait être incontestablement bénie des dieux! Ses longues mèches dorées, entièrement frisées, illuminaient adorablement son visage, lisse et satiné, pour la rendre encore plus ravissante qu`un rayonnement sur l`eau d`un ruisseau. Sans crier gare, Cupidon m`avait dès lors frappé avec son petit carquois!

Monsieur Lamoureux ne tardait pas à nous rejoindre. Essoufflé comme un phoque, il regardait ses plants, qui étaient couchés sur le sol, avec des yeux noyés de chagrin. Puis, après avoir repris son souffle, tout en pointant le ciel de sa perche, il mentionna à gorge nouée comme s`il s`adressait au Seigneur: «tu me mets encore à l`épreuve! Mais, avant de quitter à jamais mon champ pour te retrouver dans ton paradis, je te donnerai la preuve de mon courage et de ma volonté!».

Sur le chemin de notre retour vers la ferme des Lamoureux, Lancelot, Jacinthe et moi, nous marchions lentement et en silence, bras dessus bras dessous tout en suivant le vieil homme au pas hésitant. Soudainement, sous une douce lumière vacillante projetée par le vieux fanal, j`entrevis dans l`ombre de la mort, une longue couleuvre qui fuyait désespérément nos pas sur un sol, complètement glacé, et une marmotte qui se régalait goulûment d`un épi de maïs sucré. Je constatais alors que la vie reprenait déjà son cours habituel...


Le Chat botté,

mercredi, août 02, 2006

À la découverte d`un champ biologique avec Lancelot, mon pote agronome (Partie 3)

Tel un soldat fier à l`esprit rude, Lancelot continuait toujours son inspection, malgré les vents forts et violents qui sévissaient à travers le champ. Tantôt immobile et paisible, tout le paysage s`animait dès lors dangereusement. Les tiges de maïs se balançaient d`un côté à l`autre, vigoureusement, et cela me donnait l`effroyable impression d`être perdu de tout bord tout côté.

Désemparé comme un gamin en pleur, je pensais tomber dans un gouffre inconnu. «Attend-moé!», lui criais-je à gorge déployée. Mais, sous un ciel plus noir que le fond de la gueule d`un loup et où, seuls les éclairs illuminaient le sol durant quelques fractions de seconde, dans le fracas des coups de tonnerre, toutes mes tentatives restaient veines! Trop préoccupé à terminer son travail pour lequel il avait été mandaté, mon pote s`en était allé, me laissant seul parmi des ombres qui me donnaient la chair de poule...

Tout d`un coup, pour rester immobile comme un épouvantail des champs, je sentis quelque chose, de froid et humide, se mouvoir lentement sur mon pied pour, par la suite, s`enrouler rapidement sur ma jambe. Même si je devais me protéger le visage de mes mains pour ne pas recevoir une volée de coups de tiges, semblable à celle d`un fouet déchirant la chair du corps, je tentais néanmoins d`y jeter un regard curieux.

Or, à cet instant même, un joug s`abattait sur le champ de monsieur Lamoureux. Je fus désormais prisonnier sous une pluie torrentielle mêlée de beaucoup de grêles. Immédiatement, je sortis de mon état cadavérique pour sautiller d`un pied sur l`autre et me projetais à plat ventre sur le sol. Je m`imaginais vivre mes derniers instants sous le regard amusé d`un démon serpent. C`est alors que j`invoquais le Seigneur: «qu`ai-je fait pour mériter un tel supplice?». Chacune des grêles qui tombait sur mon dos me donnait l`impression que l`on me lapidait de galets de la grosseur d`un oeuf de dinde! Même si j`étais recroquevillé comme un animal blessé et que je me protégeais la tête à l`aide de mes mains, je souffrais le martyre de Saint Étienne. Quand, soudain, au moment où j`allais déraidir mon corps pour l`abandonner à tout jamais aux bêtes féroces et aux oiseaux rapaces afin qu`il soit dévoré d`un trait, je sentis une chaleur m`envelopper tel un baume apaisant. Même si le vent soufflait toujours à rafales glacées et que les tiges de maïs tombaient, une à une, sous les grêlons comme des condamnés à mort fusillés par un peloton d`exécution, je n`éprouvais plus aucune douleur. Étais-je mort, pour être affranchi à jamais du mal de vivre? Je n`en avais aucune idée jusqu`au moment où, j`entendis Lancelot me chuchoter à l`oreille que la tempête allait bientôt s`éloigner. Complètement allongé sur mon dos, il me protégeait d`une nature déchaînée.

N`eut tôt dit que ses prédictions se concrétisaient. Le ciel s`éclaircissait pour laisser entrevoir un coucher de soleil à l`horizon d`un champ complètement dévasté et anéanti. Ces sentinelles affublées en aigrette regorgeant de ressources avaient rendu l`âme. Seul un plant téméraire, ici et là, se tenait encore à moitié debout pour saigner à blanc. Le spectacle était des plus horrifiants. Le sol était tout recouvert d`un amas de billes de glace. Je m`aurais cru le jour d`une première neige! Estomaqués, Lancelot et moi, nous gardions le silence. Soudainement, au loin, nous entendions des échos de cris déchirants. C`étaient monsieur Lamoureux et sa petite fille, Jacinthe, qui nous interpellaient. Sachant que nous étions reclus entre les griffes acérées d`une bête gigantesque à sept têtes défilant sur leur champ au gré d`un vent colérique, ils s`en inquiétèrent pour se faire du mauvais sang.


(à suivre...)

Le Chat botté,