dimanche, décembre 31, 2006

Les deux sales rats des champs

Depuis le soir de Noël, je logeais à la ferme des Lamoureux. Quel bonheur de me retrouver dans une vieille maison, chaude et confortable, et où plane toujours une odeur de réconfort dans toutes les pièces. Assis à mon aise près d`un poêle à bois ronflant, les deux pieds joints dans une ancienne chaudière à lait remplie d`eau chaude parfumée au sel d`eucalyptus et sirotant tranquillement un thé fumant aux épices, je récupérais peu à peu de mon rhume grâce aux bons soins prodigués par Jacinthe.

Heureusement, en ce temps des réjouissances, je fus le seul à être privé d`électricité dans le voisinage. Au pied de ma colline, un vieux chêne moribond qui abritait et nourrissait encore une faune considérable s`était affaissé suite aux vents violents pour me précipiter rapidement dans une pénombre de malheurs.

Nous étions à deux jours du réveillon du Nouvel An. Comme un pacha heureux et ronronnant, j`observais du coin de l`oeil le joli tablier aux imprimés de petits cochons tout souriant que Jacinthe portait fièrement noué à la taille. Sur une grande table en bois massif, elle préparait de ses petites mains agiles des tartes à la farlouche et des tourtières des Pays-d`en-haut.

Je me surprenais de la dextérité avec laquelle elle maniait son grand rouleau à pâte. Il me semblait qu`à chaque coup de son outil, elle s`apprêtait à dégainer comme si elle faisait face à un adversaire redoutable! Dans le vieux fourneau, rôtissait un gigot d`agneau aux légumes qui me chatouillait le bout du nez pour m`en dilater les narines de bonheur. Devant tant de victuailles, mon estomac me rappelait douloureusement que je n`avais rien avalé depuis... deux ou trois heures tout au plus...


Pour me la couler douce, le temps me paraissait s`éterniser. Alors, afin de me dégourdir un peu, mais pas trop, je me retournais lentement la tête vers la fenêtre extérieure pour m`exorbiter les yeux dans un décor merveilleux. Sous de doux rayons de soleil scintillaient de mille feux multicolores des bancs de neige du paradis. Avec une vieille clôture en pruche qui se perdait au loin dans un pâturage et de vieux bâtiments en bois gris argenté, ce paysage bucolique et campagnard que l`on retrouve si souvent sur des cartes postales du pays m`apaisait l`esprit.

Tout d`un coup, pour me sortir de mes rêveries, je vis le vieux fermier quitter rapidement l`étable comme si quelque chose l`eut contrarié. Les bras tendus contre son corps et les poings serrés, il me semblait en furie! La neige poudreuse qui s`élevait tragiquement derrière ses talons de bottines me faisait penser à des étincelles dans les feux d`artifice...

Le voyant s`approcher d`un pas pressé vers la maison, je l`attendais, debout et immobile comme un coq en plâtre, les deux pieds joints dans la chaudière. Aussitôt, tel un effroyable coup de vent qui vous renverse sur le derrière, il se retrouvait au milieu de la grande cuisine, le regard perturbé et soufflant comme un boeuf. «Qui a-t-il le grand-père?», lui demandais-je impatiemment. «Des rats ont dévalisé mes cribs à maïs...», me hurlait-il sans me regarder. »Des rats!», s`exclamait haut et fort Jacinthe. «Des sales rats, ...ma fifille!», lui répondit-il sur un ton résolu. Immédiatement, je vis le visage de ma mignonne se transformer épouvantablement comme si elle eut fait une macabre découverte. Une autre panique venait de s`installer dans la maisonnée...

En silence, je réfléchissais comme j`en ai si souvent l`habitude. Je me demandais comment des rongeurs pouvaient gruger un grillage en fer pour s`infiltrer à l`intérieur d`une cage? Pour savoir que Lancelot était sur le point de se présenter à la ferme pour partager notre dîner, je ne manquais pas de me renseigner dès son arrivé. Après tout, c`était lui l`expert en agriculture!

(à suivre...)


Le Chat botté,



vendredi, décembre 29, 2006

Un Noël inoubliable (Partie 7)

La neige qui s`était accumulée rapidement sur la toiture en arc tombait aussitôt au sol pour retentir comme des coups de canon. Une décharge n`attendait pas l`autre! Le rez-de-chausée était déjà complètement enseveli dans une mer poudreuse, blanche, froide et opaque. Il m`était donc impossible de m`échapper de ma maison sans sauter dans le vide d`une fenêtre de l`étage. Mais, avant de me précipiter les deux pieds joints dans un banc de neige gros comme une montagne, je réfléchissais un instant. Si toute cette neige se faisait aussi dangereuse et meurtrière que du sable mouvant, pensais-je le sourire en coin?

Dans un sentiment extrême de désespoir, j`eus déjà songé à quitter mon enveloppe pour rejoindre la fluidité de l`espace, et pas qu`une fois... Cependant, même dans mes délires les plus sombres et tragiques, jamais je ne m`étais imaginé perdre la vie comme dans le mythe de la petite fille aux allumettes!

Je savais qu`il faut trois mois pour mourir de faim, un mois pour mourir de soif et seulement une nuit d`horreur pour mourir gelé. Or, dans mon cas, je me doutais bien qu`il en serait tout autrement... Car, je n`ai jamais eu de chance, du tout, même pas à la loterie! Tout se frigorifiait déjà en moi. D`abord mes pieds, puis mes mains qui se fermaient en poings et, enfin, mon sang qui se cristallisait doucement pour faire crisper mon coeur de chagrin.

Dans cet air sinistre de caniveau, je me rongeais les os, et pour cause! La pénombre hivernale ne tardait pas à s`installer confortablement sur ma campagne que déjà la température ambiante de ma maison se situait au-dessous des dix degrés Celcius. J`eus beau brûler tout ce qui me tombait sous la main, mais rien n`y faisait! Cette humidité glacée qui vous transperce le dos comme un coup de poignard avait tragiquement pris possession des lieux. J`étais prêt à vendre mon âme au diable que le froid fut plus mordant à l`intérieur qu`à l`extérieur. Néanmoins, poltron que je suis, je n`osais m`enquérir de la situation et me résignais à demeurer sur place le baluchon sur l`épaule.

Assis sur le rebord de mon lit, je méditais comme un condamné serein. Je souhaitais hardiment un miracle. Sans le vouloir, une funeste musique de claquement de bottines et de dents animait tristement la chambre qui se voulait mon tombeau. La seule chaleur qui restait pour me réconforter était celle qui me sortait de la bouche sous forme de vapeurs blanches. Alors, avant de sombrer dans l`inconscience, je me glissais sous les couvertures en compagnie de Cliffette et de Billy. Pour une rare fois, l`animosité entre chien et chat avait disparu à cet instant, signe que la situation était catastrophique...

Tout était calme, très calme. Même le carillon de l`horloge Grand-Père s`était tu! Je sentais mon souffle s`enfuir sans que je puisse le retenir. Une dernière fois, je flattais maladroitement la fourrure de mes amis pour me dégourdir les doigts gelés quand, venant de l`extérieur, j`entendis le bruit des grelots retentir au loin sur ma colline. Immédiatement, par une force qui m`était inconnue, je bondissais de mon lit le premier pour me projeter à la petite fenêtre comme un chat affamé sur sa proie. Après avoir frotté énergiquement de la main un petit carreau recouvert de givre, je reconnus Lancelot qui, à la lueur d`une lanterne, guidait prudemment un magnifique cheval "Canadien" à la robe noire tirant un traîneau. Les deux mains tendues vers le ciel, je bénissais mon sauveur. J`en concluais que ce Noël blanc, n`était certes pas celui que j`eus rêvé, mais qu`il serait, malgré tout, inoubliable!

Je vous adresse mes meilleurs voeux pour la nouvelle année. Que l`année 2007 soit remplie d`amour, de paix et de prospérité pour chacun d`entre vous!

Le Chat Botté,


mercredi, décembre 27, 2006

Un Noël inoubliable (Partie 6)

J`avais la bouche grande ouverte et la langue pendante. Je me tourmentais tragiquement sur mon sort comme un forcené qui tente de monter sur un âne. Qu`allais-je faire sans eau courante? Nouvellement installé à la campagne, cette catastrophe naturelle m`avait pris au dépourvu!

Je me souvenais alors du mode de vie de mes ancêtres qui, sans cette précieuse énergie qu`est l`électriciré, survivaient malgré tout. Je frappais aussitôt énergiquement du pied sur les glaçons comme un cheval énervé pour, par la suite, les disposer dans une grande marmite que j`avais suspendue en crémaillière dans l`âtre du grand foyer.

Je fus fière de moi! Tout en dégustant tranquillement une tasse de café chaud non filtré à la Suédoise, à l`aide d`une grande fourchette de barbecue, je rôtissais de larges croûtes de pain brun préalablement badigeonnées de beurre fondu sur une braise incandescente. Un pot de confiture maison aux mûres sauvages, une pointe de Cheddar mi-fort, une banane et bien sûr, un p`tit remède de Grand-mère contre le rhume et je m`étais servi un p`tit déjeuner à la bonne franquette!

Regaillardi pour m`en frotter la bedaine, je décidais de nouveau me pointer le nez au grand air. J`avais envie d`explorer mon univers blanc comme un trappeur des bois. Avec un bonnet à rabats en poils de lapin sur la tête, un gros chandail en laine sur le dos tricoté par les doigts de fée de ma mère et des raquettes en babiche dans les pieds, je fus prêt à faire le grand saut! J`ouvris la vieille porte de bois massif et par malheur, je perdis mon souffle pour quelques secondes. Recevoir un sacré coup de pied au derrière qui nous propulse de l`avant comme un réacteur d`avion ne m`eut été plus saississant! Un épais banc de neige avait déjà enseveli le tiers du cadrage de la porte. Comme une houle déchaînée, de gros flocons voltigeaient de tout bord tout côté sur un vent terrible. La nature n`avait pas fini de chambouler ma vie...

J`étais à nouveau estomaqué! La panique ne tardait pas à m`envahir de la tête aux pieds. La neige s`accumulait rapidement aux fenêtres du rez-de-chaussée pour laisser difficilement pénétrer la lumière du jour. J`avais l`étrange impression que ma maison coulait à pique comme le bateau de mon cauchemar! Pour être loin de tout et de tout le monde, je pensais être le cadet des soucis pour les secouristes. Comment allais-je survivre à cette avalanche de malheurs?

Encore une fois, j`allais être à court de bois de chauffage. Alors, avant de mourir gelé comme un iceberg, je m`emparais d`une petite table basse en chêne sur laquelle je m`eus enfargé tant de fois et la jetais sans regret dans le feu ardent. Avec la chaleur qu`elle m`offrit aussitôt, je pus un instant me casser le ciboulot pour tenter de trouver une solution à mes malheurs afin de sauver ma peau et celle de mes fidèles amis qui, malgré leur fourrure, frissonnaient comme des grelots au cou des chevaux attelés au galot...

(à suivre...)

Le Chat botté,

lundi, décembre 25, 2006

Un Noël inoubliable (Partie 5)

C`était le matin de Noël. Debout et immobile comme un pinguoin d`Afrique, le nez collé à la petite fenêtre de ma chambre, je m`émerveillais devant le magnifique paysage d`hiver qui s`étalait sous mes yeux grands et ronds. Il était à couper le souffle. Tout était givré de blanc translucide pour scintiller de mille feux sous un soleil radieux. La température s`était graduellement refroidit durant mon sommeil agité pour figer la nature et lui donner une allure arctique.

Rien ne fut épargné. Les troncs de bouleaux blancs s`étaient recourbés, les branches des sapins semblaient fatiguées et ma colline ressemblait étrangement à une gigantesque glissade. Seuls deux ou trois geais bleus se risquaient encore à quitter la protection de leur nid pour picoter sur les croûtes de glace quelques graines herbacées que le vent avait transporté.

Billy était toujours accroché fermement à mes habits de nuit. Mais, dès que je me mis involontairement à éternuer et à tousser comme un phoque, le malheureux déguerpissait loin comme un boulet de canon en emportant avec lui un lambeau de ma culotte. "Sapristi! J`ai attrapé froid...», murmurais-je. Pour avoir goûté les méfaits d`une nature colérique, j`en avais pris pour un bon rhume!

Dans ma misère, je constatais que j`étais toujours privé d`électricité. Aucun radiateur faisait son bruit pénible du genre: "Brzz...trr...prr...brr". Tout était silencieux comme une huître dans la maisonnée. Rien ne vrillait mes oreilles sinon le carillon à balancier de l`horloge Grand-Père qui me rappelait que le temps s`écoule toujours lentement quelles que soient les circonstances...

La journée s`annonçait donc splendide. Je chaussais mes vieilles pantoufles trouées, mais confortables, enfilais ma robe de chambre de velours moiré et descendis au rez-de-chaussée où m`attendait patiemment Cliffette son bol de croquettes à la gueule. Je demeurais néanmoins fatigué et tournais en rond. Je ruminais les mêmes idées et les mêmes images, celles de mon cauchemar de la veille. Avaient-elles un sens, me demandais-je en silence?

Dans mes perturbations, le froid ne tardait pas à me paralyser pour me transformer rapidement en un bonhomme de neige. Avec un nez qui coulait sans cesse comme une fontaine, il était temps pour moi que je me réveille de mes songes et que je me dégourdisse les membres pour allumer un grand feu de foyer.

Comme il ne me restait plus de bois de chauffage à la portée de la main, je devais obligatoirement me rendre à l`extérieur pour m`en procurer d`autres. Mais, dès que j`ouvris avec peine la vieille porte de bois qui s`était quelque peu coincée sous une pluie cinglante et glacée, quelle ne fut pas ma surprise d`apercevoir d`énormes glaçons qui pendaient de la corniche jusqu`au sol pour me barrer le chemin. Tétanisé comme une momie, je crus me retrouver prisonnier dans un sarcophage, de glace! Pourtant, à cet instant, je ne me doutais pas que cette impression anodine allait devenir sous peu une réalité tragique...

(à suivre...)

Le Chat botté,

dimanche, décembre 24, 2006

Un Noël inoubliable (Partie 4)

Après m`être assuré que le foyer ait dévoré tout ce que je lui avais offert, je fermais sa trappe gourmande et montais me coucher, une chandelle à la main, suivis de mon fidèle ami. Bien au chaud dans mon lit-bateau sous des couvertures en laine du pays, j`étais tout disposé à me reposer. Entre-temps, la pluie tombait toujours. Je pouvais l`entendre s`abattre avec rage sur la petite fenêtre à carreaux de ma chambre et sur la toiture en fer-blanc pour m`étonner de ses crépitements pesants et bruyants.

Même si je me sentais en sécurité dans le confort de ma petite maison, je n`en fus pas moins inquiet. Je me faisais du mouron pour mes amis que je souhaitais la venue le lendemain, le jour de Noël. Qu`allait me réserver cette nature campagnarde, parfois cruelle et impitoyable? Sans me douter ce qui m`attendait, des cauchemars allaient me fouailler l`esprit encore plus que la pluie glacée...

Je me souvenais que cette nuit me fut longue... dans l`attente d`une torture inhumaine! Somnolant, je rêvais que je voyageais sur un galion transportant des marchandises et quelques passagers. Parmi ceux-ci, se trouvaient des dames très élégantes. Vêtues de robe multicolore portée sur un jupon de deux armatures pour la faire bouffer sur les hanches, elles ressemblaient étrangement à de gros paniers. Moi, je fus un animal. Mais, pas n`importe lequel! J`étais le chat de la plus belle des créatures à bord. Ma maîtresse était très attentionnée. De ses petites mains, douces et soyeuses, elle me caressait sans cesse durant toute la journée.

Un jour, alors que nous naviguions dans une houle déchaînée et terrible sous une pluie colérique, nous fûmes attaqués, sans avertissement et avec beaucoup de violence, par des pirates. Des boulets de feu volaient de partout pendant que leur bateau se rapprochait de plus en plus du nôtre. Leur visage de la répression la plus brutale me terrifiait. «À l`abordage!», criaient-ils. Sans plus attendre, retentissaient à mes petites oreilles poilues et redressées des hurlements barbares à grand coups de sabre. Il y avait pourtant des hommes pour défendre notre navire, mais ils étaient trop peu et vulnérable devant cette légion de l`intolérance.

Le bateau enflammé ne tardait pas à couler. Étant donné que de nature, je craignais à la fois l`eau et le feu, je grimpais sur l`un des mâts de bois pour m`y cacher. Mais, au moment où j`atteignis avec effort la hune, par malchance, je dégringolais aussitôt dans le vide pour piquer la tête première dans l`eau.

Je me sentais aussi misérable qu`un poisson agonisant sur une banquise. Dans cette mer froide et houleuse, je basculais comme une vieille pendule qui ne peut plus s`arrêter. J`avais peu d`espoir de m`en tirer. Dans un ultime combat contre la mort, je criais le plus fort possible entre deux gorgées d`eau salée. Et, à l`instant où je commençais à piquer par la queue comme une pierre vers des profondeurs insondables, je sentis une main m`agripper violemment par la peau du cou pour me déposer, tout trempé, sur un grand coffre flottant à la dérive. C`était ma maîtresse. Dès lors rassuré, je m`agrippais à elle pour ne plus la quitter.

Sur ce rêve effroyable, je me réveillais tout en sueur et en sursaut. Assis dans mon lit en bataille, je cherchais à reprendre mon souffle et mes esprits. La nuit était tombée et à travers la petite fenêtre givrée, apparaissaient quelques doux rayons colorés. Après des heures d`incertitudes, tout me semblait à nouveau normal, sauf un détail. Tout à côté de moi, je sentais une présence inconnue. Sous les couvertures, Billy s`était agriffé au bas de mon pyjama comme un naufragé après une bouée de sauvetage.

(à suivre...)

Je souhaite à chacune et à chacun d`entre vous un joyeux Noël dans la paix et la joie.

Le Chat botté,

vendredi, décembre 22, 2006

Un Noël inoubliable (Partie 3)

Cliffette aboyait sans arrêt le museau collé à la fenêtre. Quelque chose devait inévitablement attirer son attention. Je me dirigeais alors rapidement vers ce lieu pour me risquer à y jeter un coup d`oeil. J`étais horrifié! Depuis ma venue à la campagne, je n`avais rien vu de semblable. Dans un ciel plus sombre que le fond d`un vieux tonneau, des éclairs déchiraient la nuit sans répit pour tout illuminer le paysage de ma colline comme en plein jour.

Sur un vent du Nord qui s`élevait en rafales puissantes, les branches des arbres s`agitaient tragiquement. J`aurais cru qu`à cet instant ma forêt s`animait soudainement de mille et un dragons vert émeraude aux écailles résistantes et brillantes comme des couteaux... Pourtant, malgré ma stupéfaction, j`étais certain de ne pas fabuler comme un gnome. Dans un geste désespéré, un conifère planté trop près de la maison, fouettait avec vigueur contre la fenêtre du salon ses grands bras griffus pour me rappeler que tout était vrai...

Je restais bouche-bée! Était-ce un mauvais présage? Celui qui m`averti d`un danger imminent... Pour me sentir à l`abris et en sécurité dans le doux confort de ma petite maison de pierres, je m`inquiétais guère! Après tout, pourquoi le ciel me tomberait-il sur la tête, pensais-je insouciamment... Alors, devant cette nature déchaînée et menaçante qui m`observait d`un air colérique, je lui fermais brusquement les draperies sous son nez!

Or, avant même que j`eus le temps de me retourner, je payais fort le prix de mon arrogance... D`un acte renversant, la cheminée toussa sans façon ses bouffées d`angoisse. Immédiatement, je me perdis dans une nuée étouffante. Je crus en mourir! Pour ne pas y laisser ma peau, je décidais de déguerpir comme un rat qui quitte le navire... À quatre pattes sur le parquet de bois, je cherchais désespérément à taton une porte de sortie. Mais, pour aussitôt me retrouver dans une tempête de poussière, il me semblait qu`étrangement tous les meubles du salon étaient déplacés...

Plus rien n`allait! Dès que je sortis à l`extérieur, une autre tragédie m`attendait. Une pluie diluvienne s`abattait inlassablement sur moi pour me tremper jusqu`aux os. Avoir reçu un sceau d`eau glacée sur tout mon corps ne m`eût été plus désagréable! Malgré tout, je cherchais de quoi nourrir mes poumons affamés quand pour me courber l`échine, une énorme branche de mon grand saule s`affaisait à mes pieds. Instantanément, la lumière de la lanterne murale s`estompa pour disparaître totalement. À la veille de célébrer Noël, une panne électrique me plongea dans l`obscurité totale.

(à suivre...)

Le Chat botté,

mercredi, décembre 20, 2006

Un Noël inoubliable (Partie 2)

Le soir venu, j`étais épuisé à mort pour m`être échiné durant toute la journée à quelques besognes de forcené. Sur une musique, douce et réconfortante pour mon âme, je me prélassais comme d`habitude les doigts de pied en éventail dans l`âtre du foyer où crépitait joyeusement une grosse bûche de noyer. Un petit cigare dans une main et un verre de Cognac dans l`autre, je ne tardais pas à tisonner dans ma solitude de doux souvenirs d`antan.

L`atmosphère d`un air de fêtes y contribuait grandement. Après avoir quitté mon potager et juste avant de regagner mon bercail, je décidais de parcourir mon sous-bois au hasard de ma balade pour y rechercher un sapin. Mais, pas n`importe lequel! Le vrai sapin de Noël... Comme à chaque année, j`accomplissais cette tâche avec sérieux. Parmi une multitude d`arbres, je sondais d`un oeil aiguisé chacun de ceux-ci pour finalement trouver celui qui était digne de trôner majestueusement dans mon salon près du grand foyer. D`une charpente droite et garnie de nombreuses branches aux aiguilles longues d`un vert foncé lustré, je l`abattus gaiement la hache à la main.

Tout était calme dans la maisonnée. Chacun vaquait à sa paresse... Mon beau sapin me dilatait agréablement les narines de son subtil parfum à l`arôme boisé très prononcé. Les yeux fixés sur des flammes hypnotiques, je me remémorais tendrement l`un de mes Noël préféré.

Alors que j`étais encore un p`tit cul, pas plus haut que trois pommes, j`avais volontiers, et en cachette, quitté la chaleur et la sécurité de ma couchette au milieu de la nuit pour crècher avec ma peluche sous un énorme sapin naturel situé dans le grand salon où j`avais peu l`occasion de m`y retrouver durant l`année. Je me souvenais que cet arbre fut tout décoré de guirlandes, de lumières et de parements riches et scintillants. Parmi des cadeaux aussi beaux les uns que les autres, je souhaitais la venue du vieil homme grassouillet, à la barbe blanche et au sourire sympathique. Le lendemain matin, sans doute tout recroquevillé comme un foetus, ma mère me réveilla doucement, le sourire aux lèvres, et me signifiait de sa main un présent que je n`avais pas repéré sous le sapin. Il était encore plus gros que les autres. Je tambourinais de joie à la vue de ma première voiture. C`était une brouette en bois avec laquelle j`eus arpenté pendant longtemps des chemins aux découvertes sans fin.

J`étais heureux dans mes souvenirs! Avec une agréable fumée de cigare qui avait caressé ma gorge et quelques gorgées d`eau du paradis qui eurent réchauffé ma poitrine et l`esprit, je recherchais tendrement les bras de Morphée quand, pour ne plus me rappeler du temps qui s`était écoulé, j`entendis un bruit sourd à la fenêtre derrière moi. Aussitôt, sur son garde-à-vous, "Cliffette" aboya bruyamment le signal d`alarme. Au même instant, "Billy", tantôt couché en boule sur la tablette du foyer, bondissait sur le sol pour déguerpir je ne sais où, le poil tout hérissé. Le diable était aux vaches! Une panique s`était dangereusement emparée de nous...

(à suivre...)

Le Chat botté,




mardi, décembre 19, 2006

Un Noël inoubliable

Les fêtes de Noël et du Jour de l`An approchèrent à grands pas et, plutôt que les habituels toboggans, patins et skis, c`étaient les chandails à manches courtes, les chaises de parterre et les sceaux pour laver les voitures que j`aperçus ressortir dans le paysage de ma campagne. En cette fin d`un mois de décembre, même si les journées continuèrent à s`émietter au profit d`une pénombre hivernale, le soleil demeurait toujours chaud et réconfortant.

J`étais depuis peu rétabli de mes mésaventures rocambolesques dans le sous-bois en compagnie de Rocky, mon héros, que j`en profitais pour retaper quelques auvents défraîchis, remplacer le calfeutrage d`une ou deux fenêtres du rez-de-chaussée et pour étendre sur la corde à linge une dernière brassée avant que l`arrière-saison daigne se réveiller.

Le sol des Basses-Laurentides était toujours verdoyant. Les chrysanthèmes d`automne de mon jardin persistaient avec ténacité dans l`étalement de leurs couleurs du jaune, du brun et de l`orange, ce qui invitaient encore quelques insectes butineurs. Mon chaton "Billy" s`amusait à faire ses cabrioles dans un tas de feuilles mortes pendant que mon cabot "Cliffette", tout étendu sur son long, savoura paisiblement la chaleur de quelques doux rayons.

J`avais pourtant anticipé durant tout le mois de novembre un réveil froid, blanc et persistant, mais à la veille de me servir à nouveau d`une crème solaire, j`eus oublié toutes mes appréhensions... Rien ne laissait donc présager un changement radical de température, de telle sorte que ces dernières journées de l`année me rappelèrent celles vécues par de douces matinées de printemps. Seuls les vieillards de mon village, au dos tout recroquevillé, pouvaient se souvenir d`un pareil temps!

L`après-midi venu, je me dirigeais vers mon potager près de l`étang pour terminer quelques menus travaux abandonnés avant la saison des pluies. Les mauvaises herbes avaient depuis envahi le sol... Un coup de pioche ici, un peu de désherbage par là et le tour était joué. La terre désormais labourée pouvait m`offrir à nouveau toutes les merveilleuses ressources de ses entrailles.

Devant ce regain de vie et d`espoir, je m`abstenus néanmoins de planter quelques graines de semence même si la tentation m`était forte... Car, au moment où je me reposais un instant, appuyé sur mon râteau, j`aperçus une hirondelles retardataire perchée sur une branche d`épinette. Je me souvenais alors que l`une d`elle ne fait pas le printemps et que les jours se suivent mais ne se ressemblent pas...

(à suivre...)

Le Chat botté,

dimanche, décembre 17, 2006

Ma vie sans dessus dessous (Partie 11)

Je ne pouvais plus me retourner le corps ni même la tête. Complètement paralysé, j`étais devenu la statue jumelle de Rocky qui le pauvre devait sans doute rendre son dernier souffle près d`un feu de camp réduit en cendre parsemé de braise. Tous les deux, chacun de son côté, nous agonisions atrocement dans la tyrannie d`un froid polaire.

Soudainement, je sentis quelque chose me chatouiller le cou. Même si je ne pouvais plus bouger pour trembler de tout mon corps comme un jeune feuillage au vent, je transpirais de peur. Le coeur sous la main, j`étais prêt à gerber tout mon p`tit déjeuner. D`un simple coup de dents et je devenais un pâté de première qualité! Mais, j`eus droit à un autre calvaire avant de subir mon coup de grâce. Comme si la bête voulait célébrer gaiement sa trouvaille, elle muglait sans retenu pour que je sois étourdi de son triomphe. J`aurais cru qu`il s`agissait d`un animal blessé fuyant l`autel du sacrifice tellement que son hurlement était perçant. Puis, plus rien. L`animal démoniaque s`était tu.

Le temps me paraissait long. L`écho des cris résonnait toujours entre mes deux oreilles quand, pour me surprendre, des lichettes chaudes et gluantes me varlopaient sans façon le cuir chevelu et le visage. Aussitôt recouvert de bave dégageant une forte odeur de lait caillé, je me doutais qu`il devait s`agir du veau.

Le p`tit sacripain n`en finissait plus de me surprendre. À chacun de mes respires d`un naufragé en haute mer déchaînée, il insérait sa longue langue dans ma bouche grande ouverte. Si je ne devais être dévoré de la tête aux pieds comme un poisson frit dans le bol d`un gros matou, je crus achever ma vie, étouffé comme un condamné à mort la corde au cou...

Toujours dans le "flic flac" d`un toilettage en règle, une lueur apparaissait pour complètement éblouir la forêt. Sans plus tarder, j`entendis le grondement d`un moteur au loin. Quelqu`un criait à gorge déployée: «Ho Hé! ...Ho Hé, je m`en viens...». Immédiatement, je reconnus la voix de Lancelot. Debout sur son cheval, à quatre roues, il se dépêchait de nous rescapter, Rocky et moi. Allongé dans une remorque près de mon héros toujours en vie, je pouvais voir le p`tit torrieux aux yeux ronds et noirs qui, bien attaché par le cou, tentait de nous rattraper aux galots pour poursuivre ses longs baisers. À cet instant, je ne pus m`empêcher de sourire, car, après tout, c`était grâce à son mugissement glorieux que Lancelot nous retrouva...

Le Chat botté,

Ma vie sans dessus dessous (Partie 10)

Ma vie était sans dessus dessous. Je souffrais beaucoup, mais vraiment beaucoup. J`étais tout raide de froid. Toujours pris au piège dans les griffes acérées de l`arbrisseau de la mort, je ne sentais plus mes membres. J`étais comme un malheureux petit poisson des chenaux abandonné sur la glace de St-Anne-de-la-Pérade. Tout ce que je percevais, c`était le vent sur mon visage qui sifflait un air sinistre et le p`tit mulot gris foncé qui s`agitait nerveusement autour de mon cadavre pour à chaque fois se cacher dans les souches d`un arbre dès que je hurlais mes douleurs.

Le rideau de la nuit ne tardait pas à masquer tous mes points de repaire. Seul à mon désespoir, je broyais du noir au fin fond de mes pensées. Comment aurais-je pu deviner qu`un jour, le dernier de ma vie, je crèverais comme un chien? Pourtant, je me refusais à croire au dicton: "Tu vas mourir comme tu as vécu". Car, pour avoir toujours été sincère et attentionné avec les gens qui partagent ma vie, mon destin ne pouvait se dessiner tragiquement par quelques traits à l`encre rouge...

Soudainement, pour me sortir de ma lassitude morbide, j`entendis quelques craquements. Une volée d`oiseaux de proie s`envolèrent en fracas. Encore une fois, j`étais la cause d`une perturbation au coeur d`une forêt des Basses-Laurentides. Cependant, cette fois-là, j`avais conscience que j`étais l`appât d`un copieux repas du soir... D`autres bruits secs se firent entendre pour déchirer mes oreilles bien tendues. Une bête s`approchait lentement vers moi tout en reniflant bruyamment.

(à suivre...)

Le Chat botté,

vendredi, décembre 15, 2006

Ma vie sans dessus dessous (Partie 9)

La neige tombait toujours en rafale mais sans toutefois s`accumuler au sol. Contraint d`être étendu comme une poupée chiffon, le corps sans vie, je me sentais vraiment bêbête! Seuls le bruit de nos respirations ardues et le crépitement du feu de camp retentissaient à mes oreilles gelées.

Rocky ne marmonnait plus. Parfois, il bougeait nerveusement du pied ou de la main, mais sans plus. Il me semblait disparu dans un monde qui me fut inconnu. Heureusement que le feu se faisait réconfortant et gigantesque. Haut de plus de trois mètres, il nous tenait au sec.

Toutefois, il ne fallut pas longtemps pour que je sois de nouveau troublé. Mon approvisionnement de brindilles, difficilement obtenu, se volatilisait rapidement en un tas de poussière et de cendre comme de l`eau sur un bithume irradié par un gros soleil. Tout autour de moi, j`avais dérobé à la forêt ce qu`elle avait laissé pour compte en combustible. Plus rien ne tombait sous ma main, même pas un petit bout d`écorce d`arbre moisi... Alors, avant de me retrouver au dépourvu dans une noirceur totale d`une nuit automnale, je rampais de nouveau pour rechercher de quoi alimenter le feu.

Face contre le sol, froid et rugueux, j`avançais lentement comme un escargot sur un tapis d`épines de sapin. À chacun de mes déhanchements douloureux, je grimaçais en silence tous les démons de la terre. Je cru qu`un boulet enflammé se retrouvait coincé dans l`une de mes jambes. Pourtant, malgré ma misère, je trouvais le courage de progresser entre des arbres denses et ramifiés.

Dans cette position inconfortable, tout me paraissait cependant différent. La majestueuse fougère à l`autruche que je foulais naguère insouciamment du pied m`enveloppait soudainement de ses longues tiges retombantes. Sous mon nez s`étalaient gracieusement des crottes de cervidés comme un jeu de petites billes. À cet instant, j`eus l`impression de me retrouver dans l`univers magique d`Alice aux pays des merveilles...

Pourtant, mon bonheur d`un gamin étourdi ne fut que de courte durée. Pour me glisser à la veuglette, je m`empêtrais dans les tiges épineuses d`un arbrisseau. À chaque mouvement, ma chair se déchirait et partait en lambeaux. Cette nouvelle douleur m`était tout aussi insupportable. J`étais désormais pris au piège comme un rat dans une souricière de laboratoire. Plus de feu pour ne me réchauffer ni pour ne me protéger, je me transformais rapidement en un appât de viande, crue et fraîche, pour tous les prédateurs de la forêt, petits et grands.

(à suivre...)

Le Chat botté,

mercredi, décembre 13, 2006

Ma vie sans dessus dessous (Partie 8)

La température était de plus en plus fraîche au point de devenir désagréable. Un vent nordique s`était levé pour souffler quelques flocons de la grosseur d`un dix sous. À l`endroit où nous nous trouvions, le sol n`était pas encore recouvert d`un épais manteau blanc. Mais, pour avoir récemment bravé ma première grande tempête de neige de la saison dans le Pays du Loup-Garou, je me doutais bien que je revivrais pareille circonstance d`un instant à l`autre. Cependant, j`espérais dans de meilleures conditions...

Rocky était toujours paralysé comme la statue d`une pierre tombale et moi, souffrant d`une douleur à une jambe et encore trempé de la tête aux pieds, je sentais que j`allais devenir sa soeur jumelle... Alors, avant de mourir complètement gelé, mon héros me marmonnait à travers ses dents serrées de fouiller dans la poche de son pantalon. «Mais que diable, à quoi penses-tu?», lui demandais-je l`air étonné. Rocky fit mine de rien comme si le seul fait de bouger ses lèvres lui valait toutes les souffrances du monde. À cet instant, je compris qu`il était sérieux et j`obtempéra sur-le-champ.

Avec une taille bien enrobée dans un jean trop serré, j`eus cependant de la difficulté à y insérer ma main. Mais, au bout de quelques tentatives infructueuses, je réussissais à vider tout le contenu de la petite poche. Un vrai bric-à-brac! Un couteau à cran d`arrêt, un vieux briquet à essence rechargeable, un petit crayon de bois rongé des deux bouts, des attaches, mais sans un sou... Rocky est le modèle type du fermier contemporain: fort, courageux et débrouillard comme pas un, mais pauvre comme un mendiant!

De la main gauche, il me faisait signe de prendre le briquet et de son autre main tremblante, il me pointait des broussailles. Même si je n`étais pas malin comme lui, je compris immédiatement ce à quoi il faisait allusion. Je rampais alors comme une chenille sur un sol froid et humide afin de ramasser quelques brindilles. Malheureux que le p`tit torrieux de castor ne soit pas dans les parages, car je lui aurais volontiers et avec joie subtilisé quelques fruits de ses efforts! Néanmoins, après m`être écorché la peau ici et là sur des cailloux à peine dissimulés sous une mousses de sphaigne encore verdoyante, je pus finalement construire un petit feu de camp sous forme pyramidale. Pour avoir visionné plusieurs vieux westerns, j`avais idée de la chose...

Tout était fin prêt pour enfin se réchauffer la couane. Je pris le vieux briquet dans ma main et de mon pouce, je frottais énergiquement la pierre par une roue métallique. Mais, à ce moment-là, je ne m`attendais pas à subir un autre calvaire. Il était pire que ceux vécus plus tôt durant la matinée... Une flamme immense de couleur jaune-orangé monta si haut qu`elle me brûlait aisément les sourcils. Par chance que je portais une casquette! Rocky se tordait de rire tout en se soutenant fermement le ventre de ses deux mains. «À l`avenir, rappelle-moé de régler la mèche de ton maudit briquet avant de m`en servir...», lui dis-je d`un ton sec.

(à suivre...)

Le Chat botté,

dimanche, décembre 10, 2006

Ma vie sans dessus dessous (Partie 7)

Le temps m`était compté. Je devais agir vite. Suspendu d`un pied par un filet d`acier, le visage de Rocky, bouffi, tournait dangereusement au violet. La situation était sans espoir à moins d`un miracle.

Reprenant le contrôle de mes nerfs, je grimpais à l`arbre comme un singe. Le pin blanc était long, dur et largement collé de résine odorante. Comme il me fut impossible de couper le filet sans un ciseau approprié, je donnais des coups de pied sur la branche sèche et rabougrie qui se prêtait de poulie. Cependant, j`avais peur, très peur. Peur de tomber... C`est pourtant le malheur qui se produisit!

Non seulement la branche sur laquelle je me défoulais du pied se cassa pour libérer mon héros de sa fâcheuse position, mais aussi celle qui me permettait de m`agripper solidement d`une main. Sans plus de soutien, je dégringolais dans le vide comme un fruit mûr pour m`affaisser violemment au sol sur le corps meurtri de Rocky. Immédiatement, sur l`impact de ma chute, plusieurs pièges à mâchoires dissimulés non loin dans une végétation défraîchie s`entrechoquaient pour retentir un bruit de ferraille des plus terrifiants. La forêt avait serré les dents dans sa colère...

Abasourdi, je me questionnais sur l`espèce animale que les braconniers salopards désiraient capturer? Sans plus tarder, Rocky reprit conscience. Il s`agitait nerveusement des bras et des pieds comme un bébé dans son berceau pour chercher désespérément de quoi respirer. Complètement allongé sur son cadavre, je l`étouffais sans m`en rendre compte. «Tasse-toé d`là...», me dit-il d`une voix enraillée. «T`inquiète! Je voulais simplement écouter le gargouillement irrépressible de ton estomac vide...», lui répondis-je, l`air désolé.

Mon héros était plus amoché que je le pensais. Incapable de bouger, il ne pouvait marcher jusqu`à la ferme. Mais, il en était de même pour moi... Ressentant des douleurs au niveau de la cuisse gauche, je souffrais le martyre pour grimacer à jamais comme un chien malheureux. Ne pouvant s`aider ni l`un ni l`autre comme deux frères, nous étions dans de beaux draps comme deux idiots...

(à suivre...)

Le Chat botté,

jeudi, décembre 07, 2006

Ma vie sans dessus dessous (Partie 6)

Si tantôt, j`étais gelé pour être coincé, les deux jambes dans le ventre de la terre, j`étais dès lors frigorifié dans l`eau glacée. Le courant déchaîné du ruisseau me transportait comme un billot de bois flottant à la dérive. Mais, avant de me perdre au loin dans une gueule assoiffée, je pus m`agripper après une branche d`un bouleau que le p`tit siffleux venait tout juste d`abattre de quelques coups de dent.

Jamais je ne m`étais vu transformé en bonhomme de neige. J`étais complètement recouvert de dépôts de givre de la tête aux pieds. À ce moment-là, je n`aurais conseillé à personne de se frotter à moi... Je bouillonnais de rage et ne pus me retenir pour pousser un hurlement de tous les démons. Il me semblait que de la fumée du feu de l`enfer me sortait des oreilles! «La Nature n`aura pas la patte sur mon corps...», criais-je. Je devais retrouver mon héros quitte à tomber dans tous les autres pièges de cette forêt malicieuse.

Je marchais vite et je n`avais plus froid. De retour à l`endroit où j`entendis pour la première fois un gémissement, je remarquais une longue corde de lin torsadée et abandonnée au sol. Je cherchais du regard le bout de cette corde comme une flamme brasillant dans une traînée de poudre. Après quelques instants d`incertitude, mes yeux s`arrêtèrent enfin à la base d`un grand pin blanc.

Me retournant sur un pied comme une girouette affolée par de grands vents, je ne vis rien au sol qui me donnait un nouvel indice de la présence de Rocky. J`étais dépourvu. Voilà longtemps que je n`avais pas entendu d`autres gémissements à me courber l`échine. Je demeurais debout et immobile comme un idiot. Et, quand pour me faire bondir comme une puce, quelque chose me frôlait la tête pour que ma casquette toute trempée tomba sur le sol. Juste au-dessus de moi, Rocky était suspendu par un pied comme une carcasse prête à être vidé de ses viscères... La bouche grande ouverte, les yeux fixes et les bras inertes, il ballotait doucement dans les airs. Pris au piège dans un filet de trappeur, le spectacle était des plus horrifiants.

(à suivre...)

Le Chat botté,

lundi, décembre 04, 2006

Ma vie sans dessus dessous (Partie 5)

Sur le sol rocailleux et passablement sec de la forêt dense, je pouvais, sans crainte, presser le pas vers l`endroit d`où provenait le gémissement. Car, avec un mois de novembre pluvieux, l`eau de la rivière avait largement débordé de son lit pour recouvrir une grande partie des champs de ma campagne. Seules les hautes terres furent épargnées. Tout le reste était inondé! Un vrai déluge... Les souris et les mulots fuyaient de tous bords tous cotés!

Un autre gémissement d`un mourant se fit entendre. Il me semblait provenir derrière un énorme pin blanc situé de l`autre côté d`un ruisseau. Trop large et profond pour l`emjamber d`un bond, il m`était impossible de le traverser sans me risquer à marcher sur un amoncellement de pissettes de bois entrelacées qu`un gros castor au ventre dodu s`affairait à construire de ses longues et puissantes incisives de couleur orangées.

Comme un chat, je m`approchais sournoisement vers cet animal pour ne pas l`effrayer. Mais, le p`tit torrieux me repéra aussitôt, malgré mes précautions. Feulant en voûtant son dos et en hérissant ses poils d`un brun foncé, il essayait de m`intimider avant de se glisser subtilement comme un poisson dans les profondeurs du ruisseau.

Fier et courageux, je désirais plus que tout de surmonter cet obstacle pour rechercher Rocky. Un pied devant l`autre, j`avançais à pas de tortue. Je pouvais sentir le courant de l`eau qui tentait de forcer le barrage. Tout me semblait fragile comme un jeu de cartes. Un mauvais mouvement et je me gratifiais d`une p`tite baignade dans l`eau nordique dont la température devait inévitablement se situer près du point de congélation.

Le défi me paraissait plus périlleux que je me l`étais imaginé. Parfois, une partie du barrage cédait sous le poids de mon corps. Heureusement, qu`au milieu de cet amoncellement, deux jeunes arbres, solides, droits et vigoureux, me permettaient de m`agripper le temps de soupirer. Mais, au moment où je m`apprêtais à franchir les deux-tiers du trajet, le castor réapparaissait à la surface de l`eau et siffla. Le pauvre était de mauvais poils, pensais-je...

Faisant fi de sa présence, je poursuivais mon chemin d`un pied prudent, prêt à s`avancer, se rétracter ou reculer quand, je le vis s`approcher rapidement vers moi comme une torpille. Les yeux furibonds, il me semblait en beau fusil! Aussitôt, il toquait l`eau de la rivière à l`aide de sa queue aplatie et rugueuse d`écailles coriaces. Un éléphant jouant gaiement dans un étang avec sa trompe ne m`aurait pas plus éclaboussé de la tête aux pieds... Complètement déstabilisé, je perdis pied et tomba à l`eau.

(à suivre...)

Le Chat botté,