mardi, juillet 04, 2006

L`homme est-il un loup pour l`homme? (Partie 3)

Au même moment où nous commencions tous à nous sentir engourdi pour avoir le ventre gros comme celui d`une baleine, Tiguidou nous interpella: «je vous invite tous, pour qui le désire, à venir danser un rigodon sur une musique entraînante!». Immédiatement, Lucas bondissait de sa chaise comme si le feu était aux poudres. D`un pas certain, il se dirigeait vers la jolie Mélanie.

Tout frétillant comme un poisson dans l`eau, il lui demandait cordialement la main pour l`inviter sur cette danse. Face à sa partenaire, aux petits escarpins en satin, il était fin prêt à sautiller d`un pied sur l`autre tout en claquant des doigts et en poussant des cris de joie.

Entretemps, j`avais salué Lancelot et Rocky qui se devaient de nous quitter pour prendre quelques heures de sommeil avant de commencer, tôt le lendemain, une nouvelle journée de labeurs aux champs.

Maintenant en compagnie de Miss Daisy, nous observions joyeusement les jeunes amoureux virevolter comme des girouettes. Cependant, du coin de l`oeil, je remarquais, à mon grand désarroi, que les frères jumeaux semblaient être désemparés. Assis côte à côte, dans un coin sombre de la salle, ils fulminaient de rage. Gigotant nerveusement tous les deux comme des hannetons suspendus à une branche, leurs yeux furibonds jetaient des myriades d`éclairs en direction du jeune soupirant. Je pensais alors que la marmite était sur le point de faire sauter le couvercle!

Lucas et Mélanie dansaient toujours comme s`ils étaient seuls au monde. Et, à l`heure où, chacun de nous avait l`air d`un gai luron ayant abusé des bonnes choses de la vie, quelque peu chambranlant sur le seuil de la porte de la Cabane à sucre, je remerciais Tiguidou d`avoir vécu une merveilleuse veillée, d`un bon vieux temps. Mais, à l`instant où je serrais vigoureusement la main du vieux patriote, l`éclat bruyant d`une volée de chaises me saisissait pour en avoir les cheveux dressés sur la tête. C`était les deux frères jumeaux qui s`en prenaient violemment à Lucas.

Malgré les cris aigus de détresse de Miss Daisy et de sa cousine Mélanie, les deux chiens enragés étaient déterminés plus que tout à réparer leur honneur bafoué. La tension était palpable. Devant le jeune étalon, amoché par l`alcool et vulnérable comme un poulin naissant, ils lui proféraient des menaces entrecoupées de quelques jurons bien salés.

Pendant que l`un, les lèvres retroussées, crachait de la bave comme un saint-bernard en rut, l`autre montrait fièrement ses poings fermés. Il n`aura suffi que d`une étincelle pour que tout l`agressivité refoulée durant la soirée soit transformée en une gigantesque éruption solaire! Alors, avant d`être témoin d`un monstrueux carnage, comme un arbitre, je tentais de m`interposer, entre eux, pour étaler mes bras de part et d`autre comme le symbole de la crucifixion.

Le temps me semblait s`être arrêté comme au jugement dernier. Seule la respiration, bruyante et saccadée, des loups jumeaux me rappelait que je me retrouvais, malheureusement, au coeur d`une situation saugrenue, voire presque irrationnelle. Je me demandais alors, comment se pouvait-il que des hommes, vivant dans une société civilisée, en soient rendus à se comporter comme des frustres... Étaient-ils des malfrats de nature ou devenus par des circonstances sociales? Mais, je n`eus longtemps à faire le philosophe sur la question. Car, pendant que je me surprenais du visage innocent de mon ami aux yeux de chien battu, je reçus une violente bourrade pour aussitôt me retrouver allongé, le dos sur le sol. La cloche d`un début de combat n`avait même pas résonné que je fus déjà chaos sur le ring!

Quelque peu étourdi pour voir de petits oiseaux voler et gazouiller tout autour de ma tête, je tentais de reprendre ma respiration avant de réaliser quoi que ce soit. Cependant, ce fut peine perdue! Car, une odeur pestilentielle d`oeufs pourris me suffoquait... Dans leur colère, insouciamment, les deux malappris s`étaient libérés de quelques souffrances sous mon nez!

Toujours allongé comme un mort sur le vieux parquet de bois, je reprenais, malgré tout, mes esprits. Et, tout en jetant un coup d`oeil rapide sur mon environnement, j`aperçus au-dessus de moi, des visages penchés, longs, blancs et inquiétants. Ils étaient tous, y compris les frères jumeaux, hébétés comme un homme au carcan! Je me rassurais alors en me disant que j`avais tout de même accompli ma première intension: celle d`empêcher mon grand gaillard de s`attirer inutilement quelques ennuis, de taille...

Le Chat botté,

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