vendredi, juillet 07, 2006

Un vieux fermier sympathique et attentionné

Je me rappelle encore le jour de mon envol du nid familial de la rue Orléans située dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. C`était par un bel après-midi ensoleillé de printemps. La gorge nouée d`émotions et les yeux larmoyants, je saluais chaleureusement mes parents pour me diriger vers ma première maison se trouvant en plein coeur des Laurentides.

Après avoir vécu une première rupture en quittant le corps de ma mère pour venir au monde, vint mon sevrage, puis ensuite, mon départ vers un nouvel horizon. Pour avoir appris à supporter toutes les séparations de la vie par une éducation parentale adéquate, j`avais acquis, pas à pas, la confiance nécessaire me permettant d`affronter, seul, le monde nouveau sans l`aide sécurisante de ma mère et de mon père.

Me sentant fort et rassuré comme je ne l`avais jamais été, je jetais un dernier coup d`oeil sur l`arbre surplombant la petite cour de la ruelle qui fut le berceau de mon amour inconditionnel pour la nature. Sous une pluie de rayons de soleil éblouissant où il ne restait plus que de la glace au pied des arbres, je roulais tranquillement sur des routes de campagne. Devant moi, défilaient sous mes yeux, grands et ronds, plusieurs champs de culture encore endormis qui ne demandaient qu`à se réveiller. Du même coup, pour admirer cette belle nature, à perte de vue, j`espérais chasser à jamais de ma mémoire la promiscuité dans l`indifférence de la vie urbaine, le smog et la pollution par le bruit, pour enfin, savourer pleinement une vie apaisante dans un décor bucolique.

Dès mon arrivée, j`avais remarqué, sur la cheminée de pierres du salon, une paire de raquettes de bois, tressée en babiche, qui y trônait majestueusement. Alors, comme un Seigneur d`antan, je décidais de parcourir mon petit royaume. Dès lors revêtu d`un bonnet et d`un chandail de laine du pays que ma mère m`avait tricoté de ses doigts de fée, je décrochais soigneusement les raquettes et les enfilais pour me déplacer dans le sous-bois dense et encore enneigé. Aussitôt, l`enfant en moi se réveilla et tous mes sens étaient en éveil. Marchand entre des grands pins blancs dont la cime se perdait au-delà de la portée de mon regard, je m`étonnais de la légèreté de mes pas sur une neige scintillante, lourde et mouillée. M`arrêtant pour souffler un instant, et pour dégourdir mes jambes qui me surportaient déjà plus, sous un ciel qui annonçait définitivement le renouveau, je m`émerveillais devant un petit étang naturel qui s`alimentait par un ruisseau regorgé d`eau de la fonte des neiges. Le gazouillis de cette eau, pure et limpide, qui ruisselait sur quelques grosses roches d`un grisâtre un peu rose aux surfaces arrondies, m`apaisait immédiatement. Tout en respirant à pleins poumons l`air frais et vivifiant de ce paradis, pour être loin de l`agitation démesurée de la ville, j`avais l`impression de vivre un moment unique comme si je pouvais dormir en paix sans aller me coucher!

De retour chez moi, ragaillardi d`un surplus d`émotions et de belles images pour en être étourdi d`un bonheur incommensurable, je me reposais, bien affalé dans un vieux fauteuil en cuir capitonné devant un feu de bois. Les pieds dans l`âtre du foyer, le regard perdu dans les flammes goulues, caressantes et hypnotiques, je songeais à l`homme heureux que j`étais avant de sombrer doucement dans un sommeil profond sur une agréable musique d`un crépitement de bois se consumant.

Soudainement, quelqu`un cognait à la porte avec la fermeté et la constance d`un sabot d`âne. Tantôt endormi comme un loir, je fus aussitôt réveillé en sursaut. En ouvrant la porte de bois massif, épaisse de trois pouces, j`aperçus un vieil homme à l`allure étrange. Acoutré d`une veste de laine aux motifs de tête de caribou et capé d`une casquette à rabats en poils de lapin, il tenait de sa main droite une longue perche tordue sur laquelle il se soutenait fermement. Ses jambes arquées et son dos courbé, son nez crochu, ses yeux perçants et ses traits du visage affaissés par le temps me donnaient des frissons tout le long de l`échine... Même mon chien "Cliffette", ce grand Labrador de ton miel, à la tête carrée et au corps trapu, en était épeuré pour avoir la queue entre ses pattes!

«Pardonnez-moi, Monsieur! ...Êtes-vous le nouveau propriétaire?», me demanda-t-il d`un ton sec.

Pour le voir tenir son bâton comme Moïse sur le Mont Sinaï et pour être saisi par sa voix de silex, je restais muet comme une carpe.


(à suivre...)

Le Chat botté,

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