mercredi, janvier 31, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 11)

Le lendemain matin, très tôt vers l`heure où les premiers rayons de soleil apparaissaient pour illuminer le ciel de couleur rose et lilas, Lancelot et moi, nous étions déjà sur la route de la guerre en direction de la terre à bois du vieux curé de la paroisse. Après une nuit blanche à discutailler et à analyser mille et un complots possibles devant un chaleureux feu de foyer et une bière à la main, nous en étions venus à nous entendre sur un plan de match dont chacune des procédures devait être suivie à la lettre pour déloger au plus sacrant les deux sales rats des champs de notre campagne.

Rien ne nous fut pourtant rassurant malgré ce magnifique début de matinée. La température se maintenait toujours sous les trente degrés Celsius et un petit vent cinglant des Pays-d`en-Haut nous soufflait au visage des raffales de flocons pour aussitôt nous geler le bout du nez. Sur les chemins glacés, nous roulions lentement de peur de s`enliser dans de la neige gourmande et malicieuse.

Pendant que mon pote conduisait prudemment son petit véhicule, le dos arqué vers l`avant, je regardais avec émerveillement la nature se réveiller doucement. Sur les branches tordues d`un vieux chêne, deux écureuils taquins se couraillaient gaiement à la queue leu leu comme deux gamins excités dans une cour d`école. Plus loin, près d`un petit pont de bois, un chevreuil s`abreuvait de l`eau claire et scintillante d`un ruisseau à cascades. Après quelques instants de pur bonheur, j`en oubliais presque la raison de notre mission.

Enfin arrivés devant l`endroit où squattaient nos deux salopards sans scrupules, Lancelot immobilisait sa petite voiture sur le bord du chemin. Au loin, derrière une sapinière, nous pouvions aisément reconnaître le vieux Pick-up cabossé des années cinquante aux côtés d`une hideuse petite caravane. Sans plus tarder, nous marchions à pas de velours vers cet endroit. J`avais les yeux qui tournaient en rond et les oreilles bien tendues puisque, je me doutais que notre parcours pouvait être dangereusement semé d`écueils.

Tout nous semblait calme sinon quelques gros canards prisonniers qui, dans un petit enclos de fortune, tapageaient bruyamment. À cet instant, je chuchottais discrètement dans le creux de l`oreille de Lancelot la raison pour laquelle les Lamoureux furent, sans doute, dévalisés de quelques kilos de grains. Sans dire un mot, mon pote attira ensuite mon attention vers un amoncellement de bois de chauffage. Immédiatement, je me mettais en colère. Sur cet amoncellement, je reconnus la vieille roue de charrette que j`avais courageusement sablée et repeinte l`automne dernier pour l`exposer fièrement à l`entrée de mon chemin près de ma boîte aux lettres. Ces ciboères de tabernache avaient dû me la dérober la nuit dernière pendant mon absence...

À partir ce de ce moment-là, je ne pouvais plus me contenir. Le sang m`était monté à la tête et j`étais disposé à cracher du feu par tous mes orifices. Mais, tel un soldat en devoir, Lancelot me dévisageait silencieuse et avec insistance pour me faire comprendre que, de par mon comportement irréfléchi, notre complot pouvait facilement tomber à l`eau. Sur sa requête, j`avalais instantanément ma rage de travers. Sans lui à mes côtés pour me raisonner, je m`aurais, sans aucun doute, emballé comme un taureau endiablé pour foncer tête première vers la petite caravane la batte de base-ball à bout métallique en main.

(à suivre...)

Le Chat botté,

samedi, janvier 27, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 10)

L`attente de l`impact m`était insupportable. Je fus aussi sinon plus angoissé qu`un malade empoté en manque d`une piqûre de cortisone! Les yeux toujours fermés et serrés, je n`osais jeter un coup d`oeil à travers le pare-brise de crainte de voir l`inévitable arriver quand, soudainement, après que mon pote s`eut défoulé sur toutes les patentes à gosses de sa petite voiture comme un fou qui pette les plombs, le moteur démarra finalement. Immédiatement, d`une dextérité extraordinaire, il empoigna la manivelle à vitesse pour reculer rapidement comme une torpille larguée au large.

En deux temps, trois mouvements, nous étions déjà éloigné du vieux Pick-up cabossé pour brutalement s`immobiliser dans un énorme banc de neige. À moitié enseveli, nous avions pourtant évité de justesse une collision de ferrailles dont le spectacle aurait été un des plus saisissants pour le plus grand des adeptes d`autos tamponneuses.

À l`intersection de la grande route de campagne et du petit chemin sans issu où nous nous trouvions coincé, nos deux sales rats des champs poursuivirent leur folle course meurtrière comme si plus rien ni personne ne pouvaient les arrêter. Sans s`en douter, nous avions taquiné la queue du diable et nous en essuyions ses foudres...

Le coeur battant le tic-tac d`une montre, je tentais de reprendre mon souffle et mes esprits après avoir subi un violent coup à la tête. Lancelot me semblait tout aussi étourdi que moi, sauf qu`il s`agitait nerveusement de tous ses membres comme un chat hurluberlu qui se rendit compte que sa souris vint tout juste de lui filer entre ses pattes... «Calme-toé... Cré tornon!», lui dis-je tout en tentant de l`immobiliser de mes bras. Mais, malgré mes efforts de dément, il continuait toujours à gigoter comme une puce dans un bocal.

Lasse et fatigué, je l`abandonnais un instant à ses misères pour désirer m`époumoner à l`air frais nordique. Après m`être défait de la maudite ceinture de sécurité qui s`était maleureusement coincée dans le siège, j`essayais d`ouvrir la portière lorsque quelqu`un cognait à la vitre. À ce moment-là, jamais de ma vie je n`eus aussi peur. Tous les jurons salés du vaisselier québécois me sortirent de la bouche comme le venin de la gueule d`un serpent. Avec des fenêtres complètement enneigées, je ne pouvais rien n`y voir et je m`imaginais alors que les deux sales rats étaient revenus pour terminer leur boucherie à coup de masse.

Encore une fois, nous étions pris au piège de la mort. Je regardais mon pote qui, à ma grande stupéfaction, était devenu aussi blême et cadavérique qu`une vieille statue de cire du Musée de Madame Thussaud de Londres. Les yeux livides et fixes et la langue pendante, il me semblait disparu dans un "ailleurs" qui m`était inconnu.

On cognait de nouveau à la vitre pour que chacun des coups retentit à mes oreilles comme le bruit abasourdissant d`un forgeron martelant avec force et rigueur un bout de fer incandescent. Mais, avant que l`on défonce la petite fenêtre pour que mille et un morceaux s`imprégnèrent à tout jamais dans ma chair, j`ouvris le châssis pour reconnaître, à mon grand soulagement, la binette de Rocky, le jeune fermier.

«Bonyenne! Qu`est-ce que tu m`as donné une frousse...», lui dis-je sans doute le visage long comme celui d`un cheval. «C`est Jacinthe qui m`a informé de vos sales combines... Et, voyant, tard dans la soirée, mon champ complètement éclairé comme en plein jour, je sus aussitôt que vous étiez dans de beaux draps... avec les squatters de la terre à bois du vieux curé de la paroisse», me répondit-il d`un air placide. «Comment... Tu les connais?», demanda Lancelot la voix presque muette. «Certainement, je les ai surpris la semaine dernière, ces enfants de chienne, à me dérober du bois de chauffage pendant que j`aiguisais les lames de ma tronçonneuse... Et, laissez-moé vous dire qu`avec ma bebelle du diable brandit dans les airs, ils n`eurent longtemps à faire les guignols pour déguerpir au loin les talons au cul dans mon champ enneigé...», nous répondit-il le sourire aux lèvres.

(à suivre...)

Le Chat botté,


dimanche, janvier 21, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 9)

Pris au piège dans les griffes de nos pires ennemis, nous nous retrouvions en quelque sorte, malgré nous, dans le jeu du chat et de la souris. Cependant, à ce moment-là, nous étions "la souris" et eux, "le chat" et, ce jeu ne nous était donc pas piqué des hannetons!

Une véritable menace nous pendait sous le menton. Je sentais Lancelot un tantinet nerveux. Les deux mains serrées sur le volant, le dos arqué et les épaules enfoncées dans le cou, il fixait droit devant comme un cow-boy de l`Ouest qui est sur le point de dégainer... La tension était donc à son comble.

Pendant qu`une étrange odeur d`escarmouche planait dans l`air du petit habitacle pour nous vriller grossièrement les narines, mon pote allumait soudainement ses phares de routes. Envahi par une soif de rage, il narguait les deux sales rats pour espérer les déloger de leur trou. Le pied nerveux, il attendait soufflant comme un taureau contrairié pendant que, moi, tremblant comme une feuille au vent, je m`empressais de vérifier si ma ceinture de sécurité était bien verrouillée...

Même si des courants d`air passaient sous mon nez pour me rappeler que l`hiver me taquinait, le sourire en coin, jamais de ma vie je n`eus aussi chaud! Je transpirais de partout comme pas deux. Mais, était-ce de froid ou comme un soir de crise de verglas, je n`osais me poser la question. Au diable vert la raison, pensais-je! Tout ce qui me préoccupais à cet instant, était l`issue de cette confrontation.

Au bout de quelques minutes qui me parurent aussi longues qu`une journée entière à poiroter dans une salle d`attente de l`urgence d`un hôpital, le vieux Pick-up cabossé fonçait à vive allure vers nous. Avec des bancs de neige de plus d`un mètre de haut sur chaque coté du petit chemin, nous devions inévitablement, soit faire face et combattre ou fuir de reculons comme des poltrons.

Or, Lancelot avait déjà fait son choix. Le connaissant comme un grand guerrier, je savais qu`il n`aurait jamais pensé à déserter la queue entre les pattes! Immédiatement , il écrasait son pied sur la pédale de l`accélérateur. Mais, à notre grand désarroi, comme pour nous garantir d`un péril auquel nous n`avions pensé jusqu`alors, le moteur et les phares de notre petite voiture nous abandonnaient à notre triste sort.

Plus rien ne voulait fonctionner. Abasourdi, mon pote me semblait perdu dans sa manivelle à vitesse. Le temps nous était dès lors compté pour prendre la poudre d`escampette. «Aouie! Embraye...», lui hurlais-je à tue tête. «J`y peux rien... Joualvert!», se dépêchait-il de me répondre d`une voix terrifiée. À ce moment-là, je compris que notre fin était proche...

Entre-temps, le vieux Pick-up s`approchait rapidement et dangereusement. Même si le petit chemin était enneigé, ce véhicule des ténèbres arrivait facilement à surmonter les bosses de glace et de neige comme un ski-doo. Leurs phares se faisaient de plus en plus éblouissants. Nous n`y voyions plus rien sinon un gros soleil aveuglant du midi. Alors, face à mon tragique destin, je me fermais dès lors très fort les yeux. Bien crispé dans mon siège, une main tenant une petite queue de lapin dans le fond de ma poche de manteau et l`autre serrant fermement le bras de mon meilleur ami, je ne souhaitais qu`une chose: Que l`impact ne soit pas plus traumatisant qu`un tour d`autos tamponeuses!

(à suivre...)

Le Chat botté,

samedi, janvier 13, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 8)

Le soir venu, alors que le ciel était plus sombre que l`intérieur d`une urne mortuaire, Lancelot et moi, roulions sur les grandes et petites routes de notre campagne. À bord d`une petite voiture blanche qui se confondait parfaitement bien dans le décor, nous recherchions nos deux voleurs des grands chemins. Comme deux limiers habitués à poursuivre des bêtes redoutables, les yeux grands et ronds et les oreilles bien tendues, nous étions à la piste de faits inconnus et cachés. Tôt ou tard, nous fûmes convaincus de retrouver nos deux sales rats des champs qui, comme les vrais, s`empressent de tout dévaliser et de tout détruire dès la tombée du jour.

Ce ne fut qu`une question de temps et de patience. Sur une route étroite, sinueuse et partiellement glacée, nous tombions aussitôt face à face avec le vieux Pick-up suspect aux phares éteints. «Fais attention! Les deux salopards sont droit devant nous...», criais-je à Lancelot. D`un coup de volant agile, mon pote évita de justesse une collision frontale. Immobilisés dans un banc de neige, nous attendions patiemment, le moteur arrêté, en souhaitant ne pas avoir été débusqués.

Nos ennemis circulaient près de nous en silence. Quelle étrange impression je ressentis à cet instant! Comme un bateau fantôme dans un épais brouillard, le vieux Pick-up des ténèbres aux vitres sales et embuées me semblait planer au-dessus de la chausée pour disparaître aussitôt au loin dans l`ombre de la nuit. J`étais prêt à jurer sur la tête de ma tendre mère que personne ne conduisait ce véhicule d`un passé lointain...

Après que les brigants se soient éloignés de nous, nous nous empressions de nous déprendre de notre fâcheuse position. Un coup de pelle ici et une coup de balai là, et nous étions déjà sur la route de la vengeance. Cependant, Lancelot me paraissait soudainement songeur et me dit: «Tu sais, quelque chose me tournicote la tête... Le rat est d`une nature intelligente. Il arrive à déjouer les pièges divers de l`homme. Et, s`il se sent en danger, il peut attaquer et mordre...». «Mais, à quoi veux-tu en venir?», lui demandais-je la gorge nouée. «Tout simplement que nous devons, toi et moi, être prudent astheure...», me répondit-il d`une voix à me faire frémir de peur.

Je connaissais assez bien mon pote agronome pour savoir qu`il ne dramatisait aucunement. C`était du sérieux! Après tout, ma bosse sur le front me rappelait toujours tragiquement leur potentielle agressivité. À quoi devions-nous nous attendre? J`en n`avais pourtant aucune idée. Mais, le cours des événements ne tardait pas à m`éclaircir les esprits...

Au tournant d`un petit chemin se terminant dans un cul de sac, deux lumières s`allumaient subitement. Elles étaient aussi éblouissantes qu`un phare dans une tempête. Sur le coup, nous étions complètement aveuglés. Les deux mains collées sur mon visage, j`arrivais cependant, après quelques instants de douleur, à distinguer entre mes doigts la devanture du véhicule récalcitrant. C`était celle du vieux Pick-up cabossé. Sa carrosserie chromée aux dents pointues me faisait étrangement penser aux crocs d`un célèbre requin blanc...

(à suivre...)

Le Chat botté,


mardi, janvier 09, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 7)

J`ordonnais à mon chien de me rejoindre. Dès qu`il fut à mes pieds, je l`attachais immédiatement d`une laisse et déguerpissais rapidement de cet endroit maudit avant que les deux démons m`encornèrent encore une fois le front. Ces malappris voulaient sans aucun doute capturer Cliffette pour en faire je ne sais quoi! Le pauvre, lui qui est dorloté comme un enfant, il aurait très certainement crevé d`ennui loin de moi et de Billy.

De retour à l`étable, sans me douter que Lancelot me surveillait depuis un bon moment, il me demandait: «Qu`est-ce qu`ils te voulaient, ces mendiants pouilleux?». J`hésitais un instant avant de dire quoi que ce soit. Puis, j`ouvris grande la bouche, mais m`abstenus de souffler un seul mot. Malgré qu`il soit mon confident et que je pouvais toujours compter sur sa discrétion, je ne désirais pour rien au monde l`embarrasser davantage de quelques problèmes! Car, je savais qu`il était dans une passe plutôt difficile et qu`il remettait tout en cause son cheminement de vie.

Cependant, mon pote ne lâchait pas prise aussi facilement. Il m`empoignait par les épaules, me fixait droit dans les yeux et me dit: «Mon vieux, tu es un très mauvais menteur... Je sais que quelque chose te tracasse présentement et tu dois m`en informer!». À cet instant, je me sentais aussi vulnérable qu`un gamin en pleurs. J`aurais bien voulu lui tenir tête, pour son bien, mais j`en fus incapable. Son regard déterminé et son attitude de commandant me foudroyaient la boule. Il était, et depuis longtemps, mon mentor et je devais me plier à ses volontés. D`ailleurs, je pus toujours compter sur son aide, peu importe les circonstances.

Voyant que mes hôtes paraissaient plus bouleversés que moi, j`obtempérais sur-le-champ aux instances de mon ami, mais à condition que l`on remettre notre entretien à plus tard pour dès lors s`occuper de ma mignonne et de son grand-père qui étaient dans un piteux état. Le vieux fermier, l`air exaspéré, s`était écrasé sur une poche de grains éventrée, pendant que Jacinthe, le regard fixe et les larmes aux yeux, brossait machinalement la longue queue de la vieille jument.

À vrai dire, ils ne méritaient pas cette affliction. Déjà que la vie de fermier n`est pas de tout repos pour travailler tous les jours avec une Nature parfois peu clémente, il allait de soi que ces événements barbares étaient de trop. Alors, aussitôt, je les interpellais pour leur dire: «Ne vous en faites plus! Je connais les coupables et, moi et Lancelot, nous allons les retrouver pour leur donner une bonne correction qu`ils ne seront pas près d`oublier... Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer...». Le grand-père leva à l`instant même son bras comme pour nous donner sa bénédiction, Jacinthe cessa de faire la somnambule et Lancelot, quant à lui, il me dévisageait, le sourire grand comme un gamin à qui on aurait confié un secret.

(à suivre...)

Le Chat botté,

dimanche, janvier 07, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 6)

Il va s`en dire que nous sautions le p`tit déjeuner préparé à la casserole. À la queue leu leu, nous dirigions nos pas vers l`étable, le lieu de l`hécatombe. Je fus le traînard de la file. Au fur et à mesure que j`avançais dans la neige piétinée, mes pieds se faisaient plus lourds et plus fatigués comme s`ils se souvenaient d`une blessure pas encore cicatrisée. Ma bosse sur le front me faisait terriblement souffrir. Mille élancements transperçaient ma tête. J`étais sur le bord... de la perdre!

Il en était tout autrement pour mon chien Cliffette. Heureux comme son premier jour en plein air, il gambadait joyeusement dans le pâturage, la queue dressée et les oreilles au vent. Soudainement, en approchant les grandes portes entrouvertes de l`étable, je vis chacun arborer une tête de mort. Les deux mains appuyées sur les hanches, Lancelot gigotait du pied comme un cheval fou. De nouveau, je sentais la rage l`envahir pour que la vapeur lui sorte par les oreilles... «Comment ont-ils pu faire ça? ...Stie!», s`écria-t-il d`une voix enraillée. À nos pieds, sur le sol, s`éparpillait une multitude de plumes et de duvets de couleur bleu et gris comme s`il y eut une gigantesque bataille d`oreillers.

Monsieur Lamoureux vaquait à son train-train quotidien, sans doute pour oublier le triste événement, pendant que Jacinthe, les larmes aux yeux comme une Madone, ramassait au balai les restes de Frisette avec précaution. Je ressentais de la peine pour elle. Je n`avais pas encore informé quiconque de mes mésaventures de la nuit passée. Mais, lorsque j`entendis le vieux fermier ronchonner comme une bête dans un coin pour crier: «Où est cette satanée pelle à grains?», je dus sur-le-champ vider mon sac. «Elle est dehors dans la neige... et tachetée de sang, de mon sang...», lui dis-je timidement.

Le grand-père me dévisageait un instant l`air étonné et me dit par la suite d`un ton grave d`un maître d`école: «Mon garçon... si tu veux te tuer, fais-le avec une hache bien affilée et non pas... avec une petite pelle!». Sur ces mots, j`acquiesçais en silence par un hochement de tête, le sourire en coin. Je pensais que l`affaire serait désormais réglée, mais, il en n`était rien... Aussitôt, Jacinthe se mit de nouveau dans tous ses états. «On a crevé tous les sacs de grains...», hurla-t-elle. Dès lors tous les animaux de l`étable s`agitèrent. Des coups d`ailes, de queues et de sabots retentissaient de partout.

Entre-temps, Cliffette avait disparu. Je savais qu`il n`était pas dans la petite bâtisse de bois gris, car je l`aurais aperçu lécher les grosses mamelles d`une vache généreuse. Alors, sans plus attendre, je sortis à l`extérieur et me mis à suivre ses traces de pattes dans la neige. Heureusement, je n`eus pas longtemps à faire le chien renifleur pour le retrouver au pied de la vieille clôture de pruche près du chemin. Pour aboyer et grogner comme si quelque chose le terrifiait, il me semblait de mauvais poils. À cet endroit était stationné un vieux Pick-up vert cabossé des années cinquante.

Jamais de ma vie, je n`avais vu des gens aussi répugnants! Sales, laids et mal fagotés, ils me donnaient une envie de gerber... Dans la mi quarantaine, l`homme était petit et gros comme une balle de foin. Bien à son aise dans des guenilles amples et souillées, il chiquait baveusement un vieux cigare à travers sa longue barbe en bataille. La femme qui l`accompagnait ne fut guère plus aguichante. Elle était grande et mince comme un clou. Avec son nez crochu recouvert de pustules et la bouche de travers, elle me faisait penser à un vieux sorcier croqueur d`enfants...

Les yeux grands et ronds, ils observaient drôlement mon cabot comme s`il était une pièce de viande apprêtée. Aussitôt me voyant, ils s`approchèrent vers moi pour m`interpeller: «On a perdu notre chien!», me dit sèchement la femme pendant que son acolyte, une corde à la main, me dévisageait singulièrement de la tête aux pieds, le sourire fendu jusqu`aux oreilles. Dès lors, je tombais dans un état cadavérique. J`avais reconnu l`une des voix de l`étable...

(à suivre...)

Le Chat botté,

samedi, janvier 06, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 5)

Tout ce que je me souvienne avant de sombrer dans l`abîme, c`est que j`ai souffert atrocement comme si une torchère m`avait complètement flambée... Allongé sur le dos dans la neige, une vieille pelle à grains en fer sur ma poitrine, j`avais de la difficulté à respirer. Étourdi pour apercevoir une myriade de petites étoiles scintillantes virevolter tout autour de ma tête, je cherchais désespérément à comprendre ce qui m`était arrivé.

J`eus tragiquement perdu ma conscience pendant un moment. Ces temps d`arrêt me sont toujours pénibles. Encore inerte comme une poupée de chiffon, triste et amochée, je pris tout mon courage pour animer mon cadavre afin de ne pas crever gelé sous les regards en coin de quelques anges et démons qui ricanaient. Ma tête me faisait terriblement... grimacer. Je sentais une bosse fleurir sur mon front comme un chapignon sur un vieux tronc d`arbre. Le chant du coq allait bientôt retentir et avant que tous et chacun soit sur pieds pour entamer une autre journée de labeurs à la ferme, je traînais mes pas vers la maison pour m`y reposer.

Sur le plancher de la petite pièce du grenier, Lancelot ronflait toujours la bouche grande ouverte. Je l`enjambais avec précaution pour éviter de le réveiller et me laissais tomber sur le lit comme une mouche qu`on venait de tuer... Soudainement, pour ne savoir depuis combien de temps je sommeillais, je fus abruptement extirpé de ma béatitude par un cri de cochon égorgé. Jacinthe s`époumonait d`une pièce à l`autre comme une folle. Une autre tragédie était sur le point de secouer la maisonnée!

Immédiatement, je descendis au rez-de-chaussée pour m`enquérir de la situation qui me fut terrible. Au pied du petit escalier de bois craquant, Lancelot me dévisageait. Son visage pâle d`un revenant arborait des traits flous et inquiets. «Bâzwelle! Qu`est-il arrivé?», me demandait-il l`air estomaqué. Mais, avant même que j`eus le temps d`ouvrir la bouche pour lui dire quoi que ce soit, ma pichounette nous apparaissait subitement. Affublée d`une longue tuque à pompon de couleur jaune et noir, elle s`agitait comme une guêpe dans un bocal. Les bras en l`air, elle tentait de nous dire quelque chose qui, sans équivoque, devait être épouvantable. Heureusement, qu`à cet instant, dans sa tourmente, elle ne s`était pas rendue compte de mon allure d`un bossu de Notre-Dame...

Lancelot tentait de la calmer, mais rien n`y faisait. Elle avait été piquée d`un malheur qu`aucun antidote connu ne pourrait la soulager. Puis, pour me demander où se trouvait le grand-père, à l`instant même, il pénétrait en hâte dans la cuisine comme un taureau dans l`arène. Après que la porte extérieure s`eut refermé brusquement d`elle-même derrière les sabots du vieux fermier, il leva la tête pour nous rechercher du regard et d`une voix empreinte de rage à nous faire dresser les cheveux sous nos casquettes, il nous dit: «Enfant de chique! ...Des salopards ont étripé Frisette, ma meilleure poule couveuse...».

(à suivre...)

Le Chat botté,

jeudi, janvier 04, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 4)

Je n`en croyais pas mes yeux. Le coeur battant à m`en défoncer la poitrine, je me demandais qui pouvait bien rôder sur le terrain de la ferme des Lamoureux à une heure si tardive. Je savais bien qu`il ne pouvait s`agir d`aucune personne de la maisonnée car, pour être encore éveillé, vif et alerte comme un veilleur de nuit, les lattes de bois des vieux planchers les auraient très certainement trahis pour aussitôt me mettre la puce à l`oreille. Tout grinçait dans la vieille maison même la robinetterie!

La lueur de la lampe de poche tanguait toujours près de l`étable. Soudainement, je vis, à travers la fenêtre, une deuxième personne sortir de l`ombre pour apparaître sous la lumière de la lune. Sans plus tarder, je m`affolais comme un pigeon blessé qui tourne en rond. Dans mon désarroi, je tentais de réveiller Lancelot: «Mon vieux, ...ressuscite-toé! Sapristi, on a des maraudeurs dans les champs...».

À genoux près de mon siffleux, je le bousculais vivement de mes deux mains pour qu`il soit secoué comme un oreiller dans un tambour de sécheuse. Mais, même avec des efforts de dément, c`était peine perdue. Mon pote agronome dormait toujours comme si rien ni personne ne pouvaient le sortir de son sommeil paisible de marmotte... Alors, refoulant bravement ma peur, je descendis rapidement l`escalier aux pas de velours. Je ne voulais, pour rien au monde, inutilement perturber la nuit de Jacinthe ni celle de son grand-père par une invasion nocturne.

En deux-temps, trois mouvements, j`étais déjà habillé de mes vêtements d`hiver et prêt au combat. J`empognais le grand tisonnier en fer près du poêle à bois et me dirigeais directement vers l`étable une lanterne au pétrole à la main. La force et l`invincibilité de Zeus m`avaient dès lors envahi! Devant une injustice, jamais je n`eus hésité à prendre des grands risques, même au péril de ma vie... Agir comme un ange séraphin, telle est ma nature! Un méfait était en train d`être commis et je devais absolument donner une bonne correction à ces malandrins.

Marchand d`un pas pressé dans un vent glacial qui me pinçait le visage, je ne me souciais guère du danger qui me guettait. Il faisait froid, et même très froid. Les verres de mes lunettes suintaient déjà abondamment et l`humidité ne tardait pas à s`agripper à ma colonne pour me faire souffrir de rhumatisme. Mais, pour être obnubilé par une idée fixe comme un chien qui coure après une balle pour la dévorer, je ne ressentais que très peu de malaises.

Arrivé près d`un mur extérieur de l`étable, j`entendis une conversation venant de l`intérieur. Il me semblait distinguer les voix d`une femme et d`un homme qui, évidemment, me furent toutes deux totalement inconnues. «Prends-en plus... Simonac!», l`un disait-il à l`autre. J`avançais lentement vers la porte entrouverte pour y jeter un coup d`oeil quand pour ne pas m`y attendre, je reçus de plein fouet un objet sur le front.

(à suivre...)

Le Chat botté,


mercredi, janvier 03, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 3)

Je continuais à faire mes investigations dans les quatre coins de l`étable. Comme un chat aux aguets, je tendais l`oreille pour capter au hasard une conversation de muridés... Soudain, dans un coin sombre derrière un énorme tonneau de bois rempli d`eau, j`entendis quelques ragots. Deux rats noirs à la queue longue et aux grandes oreilles comméraient, la bouche pleine devant un gros épi de maïs. Immédiatement, j`informais Lancelot et monsieur Lamoureux de ma repoussante découverte. Mais, comme si cela sur le moment n`avait que très peu d`importance, mon pote s`en retournait indifféremment à ses besognes tout en balayant du revers de la main ma trouvaille pendant que le vieux fermier observait le triste spectacle le visage sans expression.

Pourtant, malgré cela, quelque chose de fondamentalement insensé me chicotait l`esprit. Je ressentais une drôle d`intuition et désirais plus que tout m`y accrocher comme un poisson à l`hameçon. «Et, si nous étions envahis par une colonie? ...Avez-vous songé aux multiples possibilités d`infection...», leur demandais-je. Lancelot fit la sourde d`oreille à mes interpellations. J`étais abasourdi. Mes questions demeuraient sans réponse. Après avoir fait l`inspection des grillages des cribs à maïs, des sacs de grains, des liens des balles de foin et de paille, et déposer près des murs des trappes à ressors en métal, nous quittions cet endroit en silence comme si nous participions à une procession funeste.

La journée fut bien remplie. Fatigués, nous avions fermé tôt les lanternes. Couché sur un vieux matelas de laine, ficelé comme un rôti, les bras croisés derrière la tête et les yeux grands ouverts, je me mortifiais toujours comme si j`étais tracassé par un caillou dans mon soulier. Lancelot passait la nuit à la ferme. Étendu au pied de mon lit dans un sac de couchage sur le vieux parquet de bois brut, il ronflait grassement comme un soufflet de forge. Habitué à dormir à la belle étoile, cette hospitalité ne semblait guère l`incommodé. Soudainement, une idée me traversa l`esprit: «Et si les rats n`étaient pas en cause dans ce triste cambriolage?». Je regardais mon pote dormir d`un sommeil profond, mais hésitais à le réveiller pour lui faire part de mon idée.

La lune dansait gaiement dans le ciel pendant que moi, toujours éveillé, je demeurais anxieux comme un coq à qui on lui aurait interdit de chanter son célèbre cocorico. Éreinté pour ressentir des bosses de chameau partout sur mon corps, je m`ennuyais de mon lit bateau. Alors, histoire de me dégourdir les os, je me risquais à quitter ma couchette par un froid que seul un colon canadien peut endurer. Debout devant la fenêtre de la petite pièce du grenier, à gigoter des pieds et des bras, j`admirais les ombres bleutées du paysage quand au loin j`aperçus quelqu`un farfouiller près de l`étable à la lueur d`une lampe de poche.

(à suivre...)

Le Chat botté,

lundi, janvier 01, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 2)

Pendant tout le dîner, Lancelot restait peu bavard. Le nez collé dans le creux de son assiette, il dévorait des yeux et des mains tout ce qui s`y trouvait. À vrai dire, devant un tel festin de roi, je le comprenais. Il en était de même pour le grand-père Lamoureux qui semblait avoir oublié, pour un moment, ses tracas. Tout était appétissant. Les légumes étaient tendres et colorés, le riz noir, parfumé à l`ail et aux fines herbes, était cuit à point et la viande, inondée d`une sauce onctueuse à la crème fraîche et à la moutarde, fondait dans la bouche comme un carré de sucre sous la langue. Un vrai délice!

Sauf que moi, je restais sur ma faim... Je me faisais du mauvais sang pour le vieux fermier sympathique. Lui qui, l`automne dernier, avait failli mourir pour avoir perdu ses récoltes, le peu de grains qu`il restait ne devait pas servir de garde-manger pour quelques ignobles rats des champs.

Sachant que Jacinthe avait concocté ce repas des fêtes avec amour, je ne voulais attirer son attention pour l`inquiéter inutilement. Alors, après avoir grignoté comme une souris et pendant qu`elle s`affairait dans un coin de la cuisine et que les deux gloutons assis devant moi se léchaient les doigts les yeux fermés comme deux chats rassasiés se pourléchant, je glissais subtilement mon assiette sous la table, où se trouvaient tranquillement à mes pieds, Cliffette et Billy.

Un service n`attendait pas l`autre. Et, rendu au dessert, je ne pus me contenir à la grande déception de mon chien et de mon chat. Comme un vilain garnement, je me levais de table sans la permission de mon hôtesse et revêtais mon monteau, ma tuque et mes moufles pour me rendre sur-le-champ dans l`étable. Je devais m`enquérir de la situation sans quoi je perdais la boule!

À l`extérieur, le froid était mordant et le chemin était dangereusement glissant. Sous une neige poudreuse se cachait une croûte de glace semblable à une rivière gelée. J`avais beau me traîner les pieds comme un prisonnier condamné aux travaux forcés, à deux reprises, je me suis retrouvé, malgré moi, assis par terre à califourchon pour finalement déchirer le fond de mon pantalon! Aussitôt me retrouvèrent Lancelot et le grand-père. D`un coup de main. ils me remirent d`aplomb les deux pieds joints dans la neige.

Rendus dans l`étable, mon pote se dépêcha de grimper comme un singe à l`étage pour jeter un coup d`oeil aux cribs à maïs pendant que moi, je cherchais des yeux les moindres indices de la présence de rongeurs. «Le voilà, le coupable...», s`écria le vieux fermier. Les yeux furibonds et les sourcils froncés, il nous pointait de son doigt tordu et tremblant un minuscule rat brun qui se faufilait rapidement entre les pattes d`une vache qui s`agitait nerveusement la queue. «Est-ce possible?», demandais-je à Lancelot. «C`est possible, ...s`ils sont légions!», me répondit-il sans aucune hésitation. Quoi qu`il en soit, je demeurais néanmoins perplexe.

(à suivre...)

Le Chat botté,