lundi, janvier 01, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 2)

Pendant tout le dîner, Lancelot restait peu bavard. Le nez collé dans le creux de son assiette, il dévorait des yeux et des mains tout ce qui s`y trouvait. À vrai dire, devant un tel festin de roi, je le comprenais. Il en était de même pour le grand-père Lamoureux qui semblait avoir oublié, pour un moment, ses tracas. Tout était appétissant. Les légumes étaient tendres et colorés, le riz noir, parfumé à l`ail et aux fines herbes, était cuit à point et la viande, inondée d`une sauce onctueuse à la crème fraîche et à la moutarde, fondait dans la bouche comme un carré de sucre sous la langue. Un vrai délice!

Sauf que moi, je restais sur ma faim... Je me faisais du mauvais sang pour le vieux fermier sympathique. Lui qui, l`automne dernier, avait failli mourir pour avoir perdu ses récoltes, le peu de grains qu`il restait ne devait pas servir de garde-manger pour quelques ignobles rats des champs.

Sachant que Jacinthe avait concocté ce repas des fêtes avec amour, je ne voulais attirer son attention pour l`inquiéter inutilement. Alors, après avoir grignoté comme une souris et pendant qu`elle s`affairait dans un coin de la cuisine et que les deux gloutons assis devant moi se léchaient les doigts les yeux fermés comme deux chats rassasiés se pourléchant, je glissais subtilement mon assiette sous la table, où se trouvaient tranquillement à mes pieds, Cliffette et Billy.

Un service n`attendait pas l`autre. Et, rendu au dessert, je ne pus me contenir à la grande déception de mon chien et de mon chat. Comme un vilain garnement, je me levais de table sans la permission de mon hôtesse et revêtais mon monteau, ma tuque et mes moufles pour me rendre sur-le-champ dans l`étable. Je devais m`enquérir de la situation sans quoi je perdais la boule!

À l`extérieur, le froid était mordant et le chemin était dangereusement glissant. Sous une neige poudreuse se cachait une croûte de glace semblable à une rivière gelée. J`avais beau me traîner les pieds comme un prisonnier condamné aux travaux forcés, à deux reprises, je me suis retrouvé, malgré moi, assis par terre à califourchon pour finalement déchirer le fond de mon pantalon! Aussitôt me retrouvèrent Lancelot et le grand-père. D`un coup de main. ils me remirent d`aplomb les deux pieds joints dans la neige.

Rendus dans l`étable, mon pote se dépêcha de grimper comme un singe à l`étage pour jeter un coup d`oeil aux cribs à maïs pendant que moi, je cherchais des yeux les moindres indices de la présence de rongeurs. «Le voilà, le coupable...», s`écria le vieux fermier. Les yeux furibonds et les sourcils froncés, il nous pointait de son doigt tordu et tremblant un minuscule rat brun qui se faufilait rapidement entre les pattes d`une vache qui s`agitait nerveusement la queue. «Est-ce possible?», demandais-je à Lancelot. «C`est possible, ...s`ils sont légions!», me répondit-il sans aucune hésitation. Quoi qu`il en soit, je demeurais néanmoins perplexe.

(à suivre...)

Le Chat botté,

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