dimanche, décembre 31, 2006

Les deux sales rats des champs

Depuis le soir de Noël, je logeais à la ferme des Lamoureux. Quel bonheur de me retrouver dans une vieille maison, chaude et confortable, et où plane toujours une odeur de réconfort dans toutes les pièces. Assis à mon aise près d`un poêle à bois ronflant, les deux pieds joints dans une ancienne chaudière à lait remplie d`eau chaude parfumée au sel d`eucalyptus et sirotant tranquillement un thé fumant aux épices, je récupérais peu à peu de mon rhume grâce aux bons soins prodigués par Jacinthe.

Heureusement, en ce temps des réjouissances, je fus le seul à être privé d`électricité dans le voisinage. Au pied de ma colline, un vieux chêne moribond qui abritait et nourrissait encore une faune considérable s`était affaissé suite aux vents violents pour me précipiter rapidement dans une pénombre de malheurs.

Nous étions à deux jours du réveillon du Nouvel An. Comme un pacha heureux et ronronnant, j`observais du coin de l`oeil le joli tablier aux imprimés de petits cochons tout souriant que Jacinthe portait fièrement noué à la taille. Sur une grande table en bois massif, elle préparait de ses petites mains agiles des tartes à la farlouche et des tourtières des Pays-d`en-haut.

Je me surprenais de la dextérité avec laquelle elle maniait son grand rouleau à pâte. Il me semblait qu`à chaque coup de son outil, elle s`apprêtait à dégainer comme si elle faisait face à un adversaire redoutable! Dans le vieux fourneau, rôtissait un gigot d`agneau aux légumes qui me chatouillait le bout du nez pour m`en dilater les narines de bonheur. Devant tant de victuailles, mon estomac me rappelait douloureusement que je n`avais rien avalé depuis... deux ou trois heures tout au plus...


Pour me la couler douce, le temps me paraissait s`éterniser. Alors, afin de me dégourdir un peu, mais pas trop, je me retournais lentement la tête vers la fenêtre extérieure pour m`exorbiter les yeux dans un décor merveilleux. Sous de doux rayons de soleil scintillaient de mille feux multicolores des bancs de neige du paradis. Avec une vieille clôture en pruche qui se perdait au loin dans un pâturage et de vieux bâtiments en bois gris argenté, ce paysage bucolique et campagnard que l`on retrouve si souvent sur des cartes postales du pays m`apaisait l`esprit.

Tout d`un coup, pour me sortir de mes rêveries, je vis le vieux fermier quitter rapidement l`étable comme si quelque chose l`eut contrarié. Les bras tendus contre son corps et les poings serrés, il me semblait en furie! La neige poudreuse qui s`élevait tragiquement derrière ses talons de bottines me faisait penser à des étincelles dans les feux d`artifice...

Le voyant s`approcher d`un pas pressé vers la maison, je l`attendais, debout et immobile comme un coq en plâtre, les deux pieds joints dans la chaudière. Aussitôt, tel un effroyable coup de vent qui vous renverse sur le derrière, il se retrouvait au milieu de la grande cuisine, le regard perturbé et soufflant comme un boeuf. «Qui a-t-il le grand-père?», lui demandais-je impatiemment. «Des rats ont dévalisé mes cribs à maïs...», me hurlait-il sans me regarder. »Des rats!», s`exclamait haut et fort Jacinthe. «Des sales rats, ...ma fifille!», lui répondit-il sur un ton résolu. Immédiatement, je vis le visage de ma mignonne se transformer épouvantablement comme si elle eut fait une macabre découverte. Une autre panique venait de s`installer dans la maisonnée...

En silence, je réfléchissais comme j`en ai si souvent l`habitude. Je me demandais comment des rongeurs pouvaient gruger un grillage en fer pour s`infiltrer à l`intérieur d`une cage? Pour savoir que Lancelot était sur le point de se présenter à la ferme pour partager notre dîner, je ne manquais pas de me renseigner dès son arrivé. Après tout, c`était lui l`expert en agriculture!

(à suivre...)


Le Chat botté,



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