dimanche, janvier 07, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 6)

Il va s`en dire que nous sautions le p`tit déjeuner préparé à la casserole. À la queue leu leu, nous dirigions nos pas vers l`étable, le lieu de l`hécatombe. Je fus le traînard de la file. Au fur et à mesure que j`avançais dans la neige piétinée, mes pieds se faisaient plus lourds et plus fatigués comme s`ils se souvenaient d`une blessure pas encore cicatrisée. Ma bosse sur le front me faisait terriblement souffrir. Mille élancements transperçaient ma tête. J`étais sur le bord... de la perdre!

Il en était tout autrement pour mon chien Cliffette. Heureux comme son premier jour en plein air, il gambadait joyeusement dans le pâturage, la queue dressée et les oreilles au vent. Soudainement, en approchant les grandes portes entrouvertes de l`étable, je vis chacun arborer une tête de mort. Les deux mains appuyées sur les hanches, Lancelot gigotait du pied comme un cheval fou. De nouveau, je sentais la rage l`envahir pour que la vapeur lui sorte par les oreilles... «Comment ont-ils pu faire ça? ...Stie!», s`écria-t-il d`une voix enraillée. À nos pieds, sur le sol, s`éparpillait une multitude de plumes et de duvets de couleur bleu et gris comme s`il y eut une gigantesque bataille d`oreillers.

Monsieur Lamoureux vaquait à son train-train quotidien, sans doute pour oublier le triste événement, pendant que Jacinthe, les larmes aux yeux comme une Madone, ramassait au balai les restes de Frisette avec précaution. Je ressentais de la peine pour elle. Je n`avais pas encore informé quiconque de mes mésaventures de la nuit passée. Mais, lorsque j`entendis le vieux fermier ronchonner comme une bête dans un coin pour crier: «Où est cette satanée pelle à grains?», je dus sur-le-champ vider mon sac. «Elle est dehors dans la neige... et tachetée de sang, de mon sang...», lui dis-je timidement.

Le grand-père me dévisageait un instant l`air étonné et me dit par la suite d`un ton grave d`un maître d`école: «Mon garçon... si tu veux te tuer, fais-le avec une hache bien affilée et non pas... avec une petite pelle!». Sur ces mots, j`acquiesçais en silence par un hochement de tête, le sourire en coin. Je pensais que l`affaire serait désormais réglée, mais, il en n`était rien... Aussitôt, Jacinthe se mit de nouveau dans tous ses états. «On a crevé tous les sacs de grains...», hurla-t-elle. Dès lors tous les animaux de l`étable s`agitèrent. Des coups d`ailes, de queues et de sabots retentissaient de partout.

Entre-temps, Cliffette avait disparu. Je savais qu`il n`était pas dans la petite bâtisse de bois gris, car je l`aurais aperçu lécher les grosses mamelles d`une vache généreuse. Alors, sans plus attendre, je sortis à l`extérieur et me mis à suivre ses traces de pattes dans la neige. Heureusement, je n`eus pas longtemps à faire le chien renifleur pour le retrouver au pied de la vieille clôture de pruche près du chemin. Pour aboyer et grogner comme si quelque chose le terrifiait, il me semblait de mauvais poils. À cet endroit était stationné un vieux Pick-up vert cabossé des années cinquante.

Jamais de ma vie, je n`avais vu des gens aussi répugnants! Sales, laids et mal fagotés, ils me donnaient une envie de gerber... Dans la mi quarantaine, l`homme était petit et gros comme une balle de foin. Bien à son aise dans des guenilles amples et souillées, il chiquait baveusement un vieux cigare à travers sa longue barbe en bataille. La femme qui l`accompagnait ne fut guère plus aguichante. Elle était grande et mince comme un clou. Avec son nez crochu recouvert de pustules et la bouche de travers, elle me faisait penser à un vieux sorcier croqueur d`enfants...

Les yeux grands et ronds, ils observaient drôlement mon cabot comme s`il était une pièce de viande apprêtée. Aussitôt me voyant, ils s`approchèrent vers moi pour m`interpeller: «On a perdu notre chien!», me dit sèchement la femme pendant que son acolyte, une corde à la main, me dévisageait singulièrement de la tête aux pieds, le sourire fendu jusqu`aux oreilles. Dès lors, je tombais dans un état cadavérique. J`avais reconnu l`une des voix de l`étable...

(à suivre...)

Le Chat botté,

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