samedi, janvier 06, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 5)

Tout ce que je me souvienne avant de sombrer dans l`abîme, c`est que j`ai souffert atrocement comme si une torchère m`avait complètement flambée... Allongé sur le dos dans la neige, une vieille pelle à grains en fer sur ma poitrine, j`avais de la difficulté à respirer. Étourdi pour apercevoir une myriade de petites étoiles scintillantes virevolter tout autour de ma tête, je cherchais désespérément à comprendre ce qui m`était arrivé.

J`eus tragiquement perdu ma conscience pendant un moment. Ces temps d`arrêt me sont toujours pénibles. Encore inerte comme une poupée de chiffon, triste et amochée, je pris tout mon courage pour animer mon cadavre afin de ne pas crever gelé sous les regards en coin de quelques anges et démons qui ricanaient. Ma tête me faisait terriblement... grimacer. Je sentais une bosse fleurir sur mon front comme un chapignon sur un vieux tronc d`arbre. Le chant du coq allait bientôt retentir et avant que tous et chacun soit sur pieds pour entamer une autre journée de labeurs à la ferme, je traînais mes pas vers la maison pour m`y reposer.

Sur le plancher de la petite pièce du grenier, Lancelot ronflait toujours la bouche grande ouverte. Je l`enjambais avec précaution pour éviter de le réveiller et me laissais tomber sur le lit comme une mouche qu`on venait de tuer... Soudainement, pour ne savoir depuis combien de temps je sommeillais, je fus abruptement extirpé de ma béatitude par un cri de cochon égorgé. Jacinthe s`époumonait d`une pièce à l`autre comme une folle. Une autre tragédie était sur le point de secouer la maisonnée!

Immédiatement, je descendis au rez-de-chaussée pour m`enquérir de la situation qui me fut terrible. Au pied du petit escalier de bois craquant, Lancelot me dévisageait. Son visage pâle d`un revenant arborait des traits flous et inquiets. «Bâzwelle! Qu`est-il arrivé?», me demandait-il l`air estomaqué. Mais, avant même que j`eus le temps d`ouvrir la bouche pour lui dire quoi que ce soit, ma pichounette nous apparaissait subitement. Affublée d`une longue tuque à pompon de couleur jaune et noir, elle s`agitait comme une guêpe dans un bocal. Les bras en l`air, elle tentait de nous dire quelque chose qui, sans équivoque, devait être épouvantable. Heureusement, qu`à cet instant, dans sa tourmente, elle ne s`était pas rendue compte de mon allure d`un bossu de Notre-Dame...

Lancelot tentait de la calmer, mais rien n`y faisait. Elle avait été piquée d`un malheur qu`aucun antidote connu ne pourrait la soulager. Puis, pour me demander où se trouvait le grand-père, à l`instant même, il pénétrait en hâte dans la cuisine comme un taureau dans l`arène. Après que la porte extérieure s`eut refermé brusquement d`elle-même derrière les sabots du vieux fermier, il leva la tête pour nous rechercher du regard et d`une voix empreinte de rage à nous faire dresser les cheveux sous nos casquettes, il nous dit: «Enfant de chique! ...Des salopards ont étripé Frisette, ma meilleure poule couveuse...».

(à suivre...)

Le Chat botté,

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