samedi, janvier 27, 2007

Les deux sales rats des champs (Partie 10)

L`attente de l`impact m`était insupportable. Je fus aussi sinon plus angoissé qu`un malade empoté en manque d`une piqûre de cortisone! Les yeux toujours fermés et serrés, je n`osais jeter un coup d`oeil à travers le pare-brise de crainte de voir l`inévitable arriver quand, soudainement, après que mon pote s`eut défoulé sur toutes les patentes à gosses de sa petite voiture comme un fou qui pette les plombs, le moteur démarra finalement. Immédiatement, d`une dextérité extraordinaire, il empoigna la manivelle à vitesse pour reculer rapidement comme une torpille larguée au large.

En deux temps, trois mouvements, nous étions déjà éloigné du vieux Pick-up cabossé pour brutalement s`immobiliser dans un énorme banc de neige. À moitié enseveli, nous avions pourtant évité de justesse une collision de ferrailles dont le spectacle aurait été un des plus saisissants pour le plus grand des adeptes d`autos tamponneuses.

À l`intersection de la grande route de campagne et du petit chemin sans issu où nous nous trouvions coincé, nos deux sales rats des champs poursuivirent leur folle course meurtrière comme si plus rien ni personne ne pouvaient les arrêter. Sans s`en douter, nous avions taquiné la queue du diable et nous en essuyions ses foudres...

Le coeur battant le tic-tac d`une montre, je tentais de reprendre mon souffle et mes esprits après avoir subi un violent coup à la tête. Lancelot me semblait tout aussi étourdi que moi, sauf qu`il s`agitait nerveusement de tous ses membres comme un chat hurluberlu qui se rendit compte que sa souris vint tout juste de lui filer entre ses pattes... «Calme-toé... Cré tornon!», lui dis-je tout en tentant de l`immobiliser de mes bras. Mais, malgré mes efforts de dément, il continuait toujours à gigoter comme une puce dans un bocal.

Lasse et fatigué, je l`abandonnais un instant à ses misères pour désirer m`époumoner à l`air frais nordique. Après m`être défait de la maudite ceinture de sécurité qui s`était maleureusement coincée dans le siège, j`essayais d`ouvrir la portière lorsque quelqu`un cognait à la vitre. À ce moment-là, jamais de ma vie je n`eus aussi peur. Tous les jurons salés du vaisselier québécois me sortirent de la bouche comme le venin de la gueule d`un serpent. Avec des fenêtres complètement enneigées, je ne pouvais rien n`y voir et je m`imaginais alors que les deux sales rats étaient revenus pour terminer leur boucherie à coup de masse.

Encore une fois, nous étions pris au piège de la mort. Je regardais mon pote qui, à ma grande stupéfaction, était devenu aussi blême et cadavérique qu`une vieille statue de cire du Musée de Madame Thussaud de Londres. Les yeux livides et fixes et la langue pendante, il me semblait disparu dans un "ailleurs" qui m`était inconnu.

On cognait de nouveau à la vitre pour que chacun des coups retentit à mes oreilles comme le bruit abasourdissant d`un forgeron martelant avec force et rigueur un bout de fer incandescent. Mais, avant que l`on défonce la petite fenêtre pour que mille et un morceaux s`imprégnèrent à tout jamais dans ma chair, j`ouvris le châssis pour reconnaître, à mon grand soulagement, la binette de Rocky, le jeune fermier.

«Bonyenne! Qu`est-ce que tu m`as donné une frousse...», lui dis-je sans doute le visage long comme celui d`un cheval. «C`est Jacinthe qui m`a informé de vos sales combines... Et, voyant, tard dans la soirée, mon champ complètement éclairé comme en plein jour, je sus aussitôt que vous étiez dans de beaux draps... avec les squatters de la terre à bois du vieux curé de la paroisse», me répondit-il d`un air placide. «Comment... Tu les connais?», demanda Lancelot la voix presque muette. «Certainement, je les ai surpris la semaine dernière, ces enfants de chienne, à me dérober du bois de chauffage pendant que j`aiguisais les lames de ma tronçonneuse... Et, laissez-moé vous dire qu`avec ma bebelle du diable brandit dans les airs, ils n`eurent longtemps à faire les guignols pour déguerpir au loin les talons au cul dans mon champ enneigé...», nous répondit-il le sourire aux lèvres.

(à suivre...)

Le Chat botté,


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