lundi, juillet 24, 2006

Un vieux fermier sympathique et attentionné (Partie 4)

J`écoutais, avec la plus grande attention, mon invité me raconter sa vie de jeune homme. Pour tendre l`oreille à chacun de ses mots peint du souffle de ses lèvres, j`aurais cru qu`il me faisait la narration d`un livre ouvert.

Sans m`en rendre compte, le temps filait comme l`eau qui coule dans une rivière. Quand, soudainement, monsieur Lamoureux s`arrêta de parler et tomba distrait pour fuir un instant mon regard. Il contemplait, à travers la fenêtre de la cuisine, un superbe coucher de soleil rouge-feu. Tout mon paysage de campagne se dessinait de mille feux rubis. Cependant, pour être curieux de nature et désireux plus que tout de connaître la suite de son histoire d`amour d`une époque qui m`était totalement inconnue et étrangère, je démontrais mon audace en me risquant à lui demander sur le bout des lèvres: «Monsieur Lamoureux! ...De quelle façon avez-vous rencontré votre Violette?».

Immédiatement, son visage, alors songeur, se radiait dans le flou d`agréables souvenirs. Et, sans même se retourner la tête, dans ma direction, pour toujours admirer la nature dans ce qu`elle a de plus merveilleux, il me répondit en s`exclamant: «c`est en faisant un fou de moé que j`ai connu ma Violette!». Aussitôt, je ne pus m`empêcher de rire aux éclats, encore une fois, ce qui enjoua le vieil homme.

Pour oublier un instant le paysage bucolique d`un paradis perdu, monsieur Lamoureux me mentionnait qu`il avait fait la connaissance de Violette le jour de l`Épiphanie, dans l`une de ces veillées d`antan qui se donnait dans la maison des MacMahon, pour fraterniser et festoyer.

Il me relatait que la maison des MacMahon était reconnue à travers tout le canton comme le lieu des plus accueillant et convivial. Tous s`y sentaient à l`aise, y compris les quêteux des chemins. Entre deux goûtés préparés avec soins, s`alternaient les contes, les chansons à répondre, la danse et la musique, où chacun s`émerveillait des oreilles sinon autant plus des yeux!

Devenu un vieux garçon sage, le visage fraîchement rasé, les cheveux coupés courts et la chemise et le pantalon soigneusement repassés, monsieur Lamoureux était, selon ses dires, tout bonnement disposé à s`amuser sans espérances ni attentes. Et, pendant qu`un vent du Nord soufflait si fort sur la campagne des Laurentides pour que des notes terrifiantes sifflèrent allégrement à travers les chassis de la vieille maison, devant la cuisinière regorgeant de bois ardent, madame MacMahon avait disposé sur le parquet de pruche, aux lattes de six pouces, des miettes de savon du pays afin de permettre une danse plus vigoureuse et expansive.

Cependant, ce soir-là, selon monsieur Lamoureux, la vieille dame aux cheveux teints gris bleuté, tenus en chignon serré, eut la main un peu lourde... Car, dès la première danse, il perdit le pied pour tomber sur ses fesses. Aussitôt indisposé par sa maladresse, sous des rires amusés, il tenta de se relever, mais peine perdue. Le plancher était plus lisse et dérapant que la surface d`une rivière gelée! Et, c`est alors qu`une jeune fille au sourire angélique et au teint éblouissant lui tendit miraculeusement la main. Ce fut Violette.

Pour avoir été attentif comme au sermon, j`étais totalement ému par son discours. Mais, soudainement, j`entendis des petits coups de talon sous la table comme si un Pic bois frappait son bec sur le tronc d`un pin mou. C`était mon invité qui gigotait nerveusement du pied pour démontrer son impatience et son impulsivité face à la tombée imminente de la nuit. Subitement, et, à mon grand étonnement, il brandissait ses bras en l`air pour se taper énergiquement les genoux et, il se leva. Aussitôt rendu sur le seuil de la porte et revêtu de son tricot de laine, sur un Angélus mourant au loin d`un clocher, il me saluait chaleureusement d`une poignée de main vigoureuse, énergique et rassurante.

Le voyant s`éloigner lentement au pied de ma colline avec sa longue perche à la main comme une ombre dans le crépuscule, je me posais sur-le-champ une question. J`enfilais rapidement mes bottes et mon manteau, et courus dans sa direction.

Arrivé derrière lui pour le surprendre, je lui demandais ce qui valait son attention à mon égard. Le vieil homme s`arrêta un instant, puis, en prenant soin de sonder des yeux le sol sur lequel il se trouvait, il se retourna tranquillement vers moi pour me mentionner qu`il avait vu de la fumée s`échapper de la cime des épinettes vis-à-vis ma maison. Pour s`inquiéter à faire les cent pas, il avait décidé de s`y rendre pour se rassurer. «Vous rassurez de quoi?», lui demandais-je sur un ton inquiet.

Monsieur Lamoureux demeurait silencieux un moment, puis, il poussa un long soupir. Je le regardais scrupuleusement en attentant une réponse. Aussitôt, je le sentis devenir mal à l`aise. Tout en se secouant nerveusement la main gauche, il me bafouilla quelques mots que j`eus de la peine à saisir. Lui qui relatait sa vie de jeune homme avec une telle aisance, je ne le reconnaissais plus! Tout d`un coup, il avala sa salive, prit un grand respire et me dit sur un ton hésitant: «une terrible malédiction plane sur votre demeure et pousse les propriétaires, depuis plus de deux siècles, à commettre des actes criminels graves!».

Immédiatement, je paralysais de terreur. Un frisson me passa sur le dos et je sentis ma peau moite transpirer une peur acide. L`écho de ses paroles saisissantes résonnait, encore et encore, entre mes deux oreilles pour m`étourdir. Jamais, je n`aurais cru me retrouver propriétaire d`une vieille maison des horreurs...

Le vieil homme me regardait, un instant, avec les yeux fixes et noyés de tristesse d`un poisson mourant sur une banquise, et reprit tranquillement son chemin. Je restais là, hébété, comme je l`avais été lorsque je le reçus plus tôt durant la journée.


Le Chat botté,


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