samedi, septembre 23, 2006

Lancelot s`en va-t-en guerre (Partie 11)

Encore une fois, j`eus de la difficulté à reconnaître mon pote agronome. Les muscles crispés, les yeux exorbités et, haletant comme un animal traqué, Lancelot paraissait déterminé comme un soldat au combat. Le vieux fermier ne se laissait pas pour autant intimider. Après avoir grogné en raclant le parquet de bois de ses deux pieds, il s`avançait rapidement vers la porte d`entrée tout en brandissant son long bâton de Moïse, un peu comme un taureau enragé qui fonce la tête baissée.

Au même moment, Jacinthe se mit à crier à tue-tête comme une folle. J`aurais cru qu`on l`avait égorgé ou qu`on était sur le point de le faire! Instantanément, monsieur Lamoureux s`immobilisa en plein mouvement comme s`il eut reçu une décharge électrique. Aterré comme après un désastre, le visage tout pâle, il baissa son bras devant le jeune téméraire et se mit à trembloter. D`une voix geignarde, il nous baragouinait qu`il regrettait son comportement. Pour le voir l`esprit chamboulé comme un vieillard qui parle tout seul sur son banc, je me sentais aussitôt attendri, sur le point de pleurer.

À deux semelles derrière lui, j`hésitais entre dire ou faire quoi que ce soit. Quand, pour me surprendre, il se retournait brusquement vers moi pour me fixer avec des yeux tristes et larmoyants d`un gamin à qui on aurait confisqué son ourson en peluche. Je me doutais bien qu`il avait quelque chose d`important à me dire mais qu`il préférait s`abstenir. Pour le rassurer, je déposais doucement ma main sur son épaule et lui dit: «n`ayez aucune crainte! Je peux tout encaisser...». Immédiatement, le grand-père se ressaisissait et me demanda: «te rappelles-tu de la malédiction dont je t`avais parlé?». «Oh! Que si...», lui répondis-je tout en hochant nerveusement la tête. «Et bien, ...j`avais volontairement omis de te renseigner d`un point de détail pensant que tu en serais peut-être épargné...», me rajouta-t-il sur un ton hésitant.

À cet instant, je sentis mes jambes vaciller. Mes oreilles sifflaient atrocement un train d`enfer et ma tête était sur le bord d`exploser. Pour être stressé et désabusé par la tournure des événements récents, j`étais tendu comme un ressort à bout de course! La chaleur de la pièce se faisait soudainement suffocante et insupportable. Je transpirais comme un pommeau de douche et étourdi comme un caillou qui roule, j`aurais cru me retrouver coincer dans une boîte de bois maissif, satinée noir et capitonnée velours... Pour éviter de m`écrouler comme un château de cartes, je m`empressais de m`asseoir près de Jacinthe. Me rétablissant peu à peu, je fis au grand-père des gestes de la main pour l`encourager à poursuivre son histoire. D`abord hésitant, le vieil homme ne tardait pas longtemps à collaborer sous des regards inquisiteurs et nous instruisait de la légende que son père lui avait racontée lorsqu`il était tout petit.

Selon ses dires, cela se passait en l`an 1789 pendant que les Français faisaient leur Révolution. Un jeune fermier irlandais s`installait sur la colline pour y cultiver des céréales à paille. Il était robuste et brave, mais un peu présomptueux. Un jour, il fit la rencontre d`une jeune canadienne qui, comme plusieurs demoiselles de cette époque, était belle, adroite et très spirituelle. On eût dit d`elle qu`elle était un ange, tant sa beauté rayonnait... Comme par miracle, un seul de ses sourires éclatants de bonheur suffisait à chacun pour oublier ses malheur! Ils se marièrent et ensemble, ils construisirent leur maison sur le flanc de la colline. Mais, le conte de fée tourna rapidement en cauchemar! Car, pour être jaloux de sa beauté mirifique, et furieux du bien qu`elle produisait autour d`elle, il la tenait sous clé, en cage dans le grenier. Par un hiver rigoureux, sans chauffage, elle ne tardait pas à tomber malade pour mourir doucement, mais sûrement, de froid, d`ennui et de désespérance. Pour ne plus supporter sa solitude, et malheureux d`avoir perdu un grand trésor qu`il voulait que pour lui seul, le jeune fermier devint fou. Une nuit où il faisait aussi noir que le fond de la gueule d`un loup, il mit le feu à la bâtisse pour que tout le ciel de la colline soit illuminé des flammes de l`enfer. Plus jamais on le revit. Mais, depuis ce temps, à chaque éclipse lunaire, un démon hante la colline afin d`exposer ses artifices malicieux envers et contre tous les propriétaires de la vieille maison de pierres...


Le Chat botté,

Aucun commentaire: