dimanche, septembre 17, 2006

Lancelot s`en va-t-en guerre (Partie 9)

Jacinthe nous racontait que Josephat était le frère aîné de feu Albert MacMahon, l`ancien propriétaire de ma vieille maison sur la colline. Toujours à rire à grands éclats d`une feuille qui tombait, d`une poule couveuse qui s`effrayait pour en perdre ses plumes ou d`une fille qui le regardait, Josephat était reconnu par tous comme un couillon, voire un imbécile. Force de nature, son mètre quatre-vingt-cinq imposait cependant la crainte à ceux qui, en paroles, désiraient le chahuter un peu. Méprisé et exploité par une mère et un frère après le décès du paternel, et moqué par presque tous les gamins, il était malgré tout un bon garçon, toujours prêt à rendre quelques menus services sur la ferme comme ailleurs.

Même si l`heure se faisait tardive pour entendre des bruits de fauteuil, des snifferies et des bâillements, j`étais attentif comme pas un. J`attendais le dénouement, sans rien dire, entièrement accroché à ses lèvres. La voix presque muette, Jacinthe se tut un instant. Elle prit son verre pour tranquillement laper une petite gorgée de Whisky, tira ensuite, langoureusement, une longue et suave bouffée de son petit cigare, et poursuivait son récit: «c`est quand la mère des deux frères mourut que tout bascula! Comme il était de la coutume que l`aîné soit désigné comme l`héritier de la ferme, Josephat faisait de beaux rêves... Devant les insultes, l`autorité implacable et l`absence de ressentiments de la part de ses proches, il s`encourageait toujours en se bouchant les deux oreilles. Mais, l`avenir lui réservait de mauvaises surprises pour qu`il en perdit tout espoir. À la mort de sa mère, de par les stipulations de son testament, c`était Albert, et non Josephat, qui hérita de la ferme et de ses plantations. Nous avions entendu dire qu`elle lui avait pourtant léguer un petit pactole en argent pour couvrir, pendant quelque temps, ses subsistances, mais, malheureusement, le pauvre d`esprit ne vit jamais la couleur ni toucher la texture d`un seul billet de Banque!».

Pour avoir écouter la narration de l`histoire de Josephat comme un gamin sur un banc d`école, j`étais bouleversé, presque ému et attendri aux larmes. Pourtant, je me doutais bien qu`il s`agissait du même individu qui, la veille, avait brandi sa carabine sur moi pour la dégainer et, qu`à peine quelques minutes, je le considérais toujours comme mon pire ennemi.

Un moment de silence s`était installé dans la pièce comme si chacun de nous était en proie à une profonde réflexion. Subitement, monsieur Lamoureux se redressa pour que tous les os de son corps crissent d`abominables bruits secs à faire sursauter de peur. Je crus d`abord qu`il s`agissait d`une bûche qui crépitait joyeusement. Mais, il en n`était rien. Le grand-père brandissait aussitôt sa main tordue en forme de col de cygne et nous informait de la suite de l`histoire: «par une nuit d`hiver, où le vent soufflait en rafales et où la neige se transforma en épines, Josephat se rebella contre son frère et sortit de force plusieurs animaux de l`étable au grand froid. Je me souviens de cette nuit comme celle de mes noces... Les beuglements et les cris aigus déferlaient de partout pour que j`en ai les cheveux dressés sur la tête. J`abandonnais sans rechigner la chaleur de mon lit et me précipitais sur la fenêtre de ma chambre pour voir si un ange n`apparaîtrait pas dans le ciel de la colline pour annoncer la fin du monde... Mais, au lieu de ça, à la lumière d`un fanal éclairant la porte ouverte de l`étable, je vis deux misérables se batailler comme des diables dans l`eau bénite. Ils étaient pas mieux que des vauriens ensorcelés d`une rage meurtrière... Ils s`assenaient chacun de violents coups de poings au visage. Au bout de quelques minutes horrifiantes, Albert maîtrisa, mais non sans peine, son frère qui tentait vainement de se débattre. Il n`en fallait pas plus pour qu`Albert le chasse sur-le-champ de la ferme. Il savait qu`habiter avec un homme rongé par la haine et la jalousie était comme vivre avec un pistolet chargé sur la tempe...». «Mais, qu`est-il devenu Josephat?», lui demandais-je impatiemment.

(à suivre...)

Le Chat botté,

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