vendredi, septembre 08, 2006

Lancelot s`en va-t-en guerre (Partie 6)

Lancelot était amoché comme s`il s`était lui-même glissé dans sa moissonneuse-batteuse. Pour s`être allongé sur un sol froid et humide durant toute la veillée, reniflant, les yeux gonflés, le corps noué et la nuque brisée, le misérable en avait pris pour un bon rhume!

Debout et chambranlant comme un piquet sur le point de tomber, il tenait difficilement Jacinthe dans ses bras. Elle était toujours inerte, presque sans vie. Sans plus tarder, j`invitais mon pote à la déposer délicatement sur le canapé. La pauvre avait perdu connaissance sous une pluie de feux et de plombs!

Entretemps, les flammes de mon foyer s`étaient faites discrètes et paresseuses. Je me dépêchais de les réanimer à l`aide du soufflet, pour que la pièce soit de nouveau chaleureuse et accueillante. Soudainement, ma belle au bois dormant se réveilla d`un profond sommeil au lointain voyage. À genoux près d`elle, je la réconfortais du mieux possible en lui murmurant de petits mots doux à l`oreille. Le front suintant et les yeux hagards, elle balbutiait en minaudant: «non! ...Non! Pas lui, ...c`est pas lui!».

Malgré que j`étais heureux qu`elle fut miraculeusement épargnée d`une tragédie des plus sanglantes, j`en étais pas moins rassuré... Je me questionnais sur la raison de sa venue inopinée. «Celà devait être très important pour qu`elle se soit cheminée jusqu`ici, seule dans le noir...», disais-je tout en cherchant du regard mon ami. »Elle a dû entendre quelques bribes de notre conversation concernant notre complot...», me répondit-il d`un ton ferme et sans équivoque. Sa voix transperçante et pleine d`autorité me glaça les veines!

Aussitôt, Jacinthe tentait péniblement de se soulever en s`appuyant sur ses coudes. Lentement, elle tourna sa tête de droite à gauche. Puis, elle arrêta son regard sur moi. Les yeux fixes et gorgés d`eau, elle semblait sur le point de fondre en larmes. Immédiatement, je la pris dans mes bras pour la serrer fort contre ma poitrine. Sur de petits gémissements et une respiration accélérée, tout son corps palpitait, secouer de longs frissons. J`avais la gorge nouée et le coeur serré! J`étais triste, profondement triste.

À cet instant, Lancelot toussa horriblement comme un vieux moteur. Pour le voir, le dos arqué comme au dragon, j`aurais crus qu`il s`apprêtait à cracher de ses poumons un torrent de flammes. J`abandonnais un moment Jacinthe pour leur préparer, à elle et lui, un petit remontant de gitan. Par la même occasion, j`en profitais pour ingurgiter ostensiblement deux ou trois petites lampées de gin afin de soulager mon gosier altéré...Tous les événements vécus depuis les dernières vingt-quatre heures m`avaient mis les nerfs à plat. À fleur de peau, j`étais sur le point de craquer!

Lancelot avait remarqué mon état lamentable de chien battu et, aimable comme pas deux, il vint vers moi pour me masser vigoureusement le haut des épaules. Cette tendre attention eut pour effet de me ravigoter en un rien de temps. Dès lors vigoureux comme une tige de blé dansant au gré du vent, je retournais auprès de ma belle créature qui avait repris des poils de la bête. Remise de ses émotions tragiques et bouleversantes, elle s`apprêtait à délier sa langue quand, soudain, quelqu`un cogna à la porte...

(à suivre...)

Le Chat botté,

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